Session 1: Cairo fever

Après avoir quitté l’Angleterre à bord du Fontainebleau et échappé de justesse aux foudres de l’inspecteur Barrington, Sommers, Arthus et O’Donnell mettent à profit leur semaine de voyage en mer jusqu’à Port Saïd pour profiter du luxe de la 1ère classe et poursuivre leurs lectures.

 

Arthus, qui avait finalement convaincu Sommers d’emporter avec eux le « Liber Ivonis » après l’avoir feuilleté à Southampton, ne peut résister à l’envie d’en poursuivre la lecture. L’ouvrage, rédigé en latin, se révèle assez ardu et ce n’est qu’après plusieurs jours qu’il parvient à y déchiffrer un sortilège qu’il mettra une semaine à apprendre : "Créer la Barrière de Naach’Tith". Cet enchantement permettait apparemment de créer une barrière aussi bien physique que magique pendant plusieurs heures, une sorte de sphère de plusieurs dizaines de mètres pouvant aussi bien défendre d’attaques extérieures celui, ou ceux, réfugiés à l’intérieur que protéger l’extérieur d’une créature bloquée à l’intérieur. Il était possible de lancer ce sort seul ou à plusieurs, et plus il y avait d’officiants, plus la barrière était puissante. En revanche, elle ne pouvait protéger qu’une ou plusieurs personnes, pas un objet. Passant ses journées à lire assidûment l’ouvrage, le Frenchy enseignait quelques rudiments d’arabe à O’Donnell le soir venu.

Ce dernier, après avoir fait quotidiennement quelques heures d’athlétisme dans la salle de sport en compagnie de Sommers, commence en parallèle l’ouvrage intitulé les « Fragments de G’harne ». Il a du mal à démarrer le livre mais estime que cela devrait lui prendre entre 8 et 12 semaines pour en terminer la lecture. L’Irlandais ne comprend strictement rien de rien à ce livre. Néanmoins, il finit par remarquer, dans un angle de page, une petite phrase anodine : "Déplacer le pie gauche vers le levant,..." avant de s’apercevoir que de petites notes similaires en parsèment les coins de page. Au bout d’une semaine à compiler ces notes sur une feuille, le privé réalise qu’il s’agit d’un rituel pour "Contacter une Chose Très Ancienne" et qu’il lui faudra à lui aussi une semaine pour l’apprendre.

De son côté, en dehors de ses séances de sport avec O’Donnell, Sommers s’atèle à déchiffrer le troisième parchemin en arabe en sa possession. Intitulé "La Terrible Malédiction d’Azathoth", il s’agissait d’un rituel permettant de tenir en respect n’importe quelle créature en prononçant le terrible nom d’Azathoth. Mais il réalise que chaque mot prononcé dans l’utilisation de ce sortilège d’effet immédiat coûtait énormément à l’officiant. Compte tenu de la puissance de leurs adversaires, ce n’est pas ça qui le fait hésiter et, après avoir passé quelques jours à savoir comment appeler un "Marcheur des Lieux Multiples", il décide d’apprendre également comment prononcer correctement ce nom d’Azatoth.

En discutant avec l’équipage et les autres passagers lors des repas, ils apprennent par ailleurs que le meilleur hôtel du Caire se nommait le Shepheard’s Hotel, lieu de prédilection de tout le gratin des visiteurs en quête de dépaysement. On les informe aussi que des navettes commanditées par les différents hôtels débarqueront les passagers lors de leur arrivée à Port Saïd et qu’ils seront pris en charge jusqu’à leurs lieux de résidence, après s’être enregistrés auprès des douanes, pris le train jusqu’au Caire et s’être acquittés de leur inscription auprès des autorités égyptiennes.



Arrivée à Port Saïd du Fontainbleau
Arrivée à Port Saïd du Fontainbleau
La rue principale de Port Saïd
La rue principale de Port Saïd

Mercredi 4 mars 1925:

 

Port Saïd était un endroit horriblement laid qui n’avait rien de l’Orient magnifique de carte postale. Il n’y avait ici aucun vestige archéologique. Il était proche de midi, la température avoisinait déjà les 25° C. et une odeur nauséabonde flottait sur les eaux sales. Se frayant un chemin parmi d’innombrables autres navires battant pavillons étrangers, le Fontainebleau ralentit à l’entrée du port, s’apprêtant à jeter l’ancre, quand une myriade de petites embarcations commence à se masser autour de lui. Des autochtones, cherchant à alpaguer les touristes à peine arrivés pour leur revendre fruits, légumes, babioles et autres colifichets, mais aussi plusieurs barques affichant des noms d’hôtels, dont les équipages vantaient les mérites respectifs à grands renforts de cris en les accostant. La plupart des passagers de 1ère classe se rendant au Caire séjournait visiblement au Shepheard’s et le trio décide de suivre le mouvement. Dans l’effervescence et le chaos le plus total, leurs malles sont chargées à bord de la navette de l’hôtel ; un représentant du Shepheard’s récupère leurs passeports pour s’occuper à leur place des formalités et les informe qu’ils seront escortés jusqu’à la gare, à 10mn à pied, que le prochain train pour le Caire devait partir dans une demi-heure et qu’ils pourraient changer leur argent à l’hôtel.

Après un trajet en train d’environ 4 heures, ponctué de quelques arrêts impromptus, notamment pour récupérer des passagers de l’Orient Express, sous une chaleur accablante et sans climatisation, le trio arrive enfin au Caire.

La végétation luxuriante bordant le Nil avait cédé la place à de la caillasse, parsemée de quelques oasis de verdure. Ça sentait les épices, l’air était rempli de sable et ils étaient entourés de tons bruns et ocre. Leur train traverse les quartiers nord occidentaux de la capitale égyptienne pour arriver finalement à une immense gare, un bâtiment aussi grand que celui de Boston. A peine sortis, les passagers sont immédiatement assaillis par l’odeur des mendiants et des enfants vivant dans la pire des crasses, et par des dizaines et des dizaines d’Egyptiens proposant leurs services. Leur donnant des coups de pieds pour les écarter, les employés du Shepheard’s qui les escortaient ont toutes les peines du monde à conduire leurs clients vers le bus qui les attend.

 

Agitée par de nombreux assassinats politiques et émeutes défrayant régulièrement la chronique, l’Egypte était en train de s’affranchir de la tutelle occidentale et du protectorat britannique, depuis son autonomie et l’accession au pouvoir du Roi Fouad. Forte de 850 000 habitants, dont un dixième d’étrangers, la capitale égyptienne était la plus grande ville d’Afrique et l’une des plus grandes villes du monde. Bénéficiant de l’intérêt suscité par les trouvailles des nombreuses expéditions archéologiques exhumant les merveilles des dynasties pharaoniques, notamment la Tombe de Toutânkhamon découverte le 29 novembre 1922 par Howard Carter, elle répondait à toutes les attentes des nombreux visiteurs en quête d’aventures et d’exotisme. Mais son patrimoine extrêmement riche et ses vestiges archéologiques y cotoyait aussi une infime pauvreté, avec ses légions d’enfants rachitiques et ses cohortes de mendiants défigurés, handicapés et atteints des pires maladies.

Howard Carter, né à Kensington le 9 mai 1874, est le fils de Samuel John Carter, peintre animalier et paysagiste dont il hérite des talents de dessinateur, et de Martha Joyce (Sands) Carter. Présenté à 17 ans à Percy Newberry, jeune égyptologue de l’Egypt Exploration Fund, il est engagé pour recopier à l’aquarelle les fresques des tombes de Beni Hassan, puis sur le temple funéraire de Montouhotep à Deir el-Bahari. Charmé par l’Egypte, Carter se passionne rapidement pour les fouilles. Il commence à travailler aux côtés de Flinders Petrie, à Tell el-Amarna, avant d’être remercié par l’archéologue réputé pour son caractère trempé. Après s’être rendu à Deir el-Bahari, pour reproduire les bas-reliefs du temple d’Amon érigé par Hatshepsout., il rencontre Gaston Maspero. En 1899, le Français lui propose un poste d’Inspecteur Général des Monuments en Haute-Égypte. Exclu début 1905 du Service des Antiquités, suite à un différend avec un groupe de Français fortunés, Carter retourne pour un temps à ses pinceaux. Mais, regrettant d’avoir dû s’en séparer, Maspero le présente à Lord Carnarvon, qui depuis 2 ans effectuait des fouilles en amateur, sans succès, et désirait s’adjoindre les conseils d’un véritable homme de terrain. Ensemble, ils explorent la nécropole thébaine, sans grand résultat, puis effectuent en 1912 des fouilles dans le Delta, stoppées suite à une invasion de cobras. En 1915, ils reprennent la concession de Theodore Davis. Après que leur équipe a exhumé des jarres et des sceaux au nom de Toutânkhamon, Carter y cherche alors la tombe de ce souverain, près du soubassement rocheux de la Vallée des Rois, mais en vain. En 1922, Carnarvon consent à financer une dernière campagne ; ses recherches s’avérant infructueuses, Carter les reporte sur un périmètre que nul n’a jamais prospecté. Les fouilles débutent le 1er novembre, à l’endroit même où se trouvaient les huttes des ouvriers de Davis lorsqu’il trouva la tombe de Ramsès IV … 

Le luxueux Shepheard’s Hotel se trouvait juste en face du parc Ezbekiya. Ce quartier, avec ses nombreux cafés et restaurants, ses grands hôtels occidentaux, ses salles de cinéma et de concert, ses clubs privés et ses nombreux jardins parsemés d’esplanades, de points d’eau et de sentiers, était le point de ralliement des Occidentaux du Caire et de la haute société cairote.

Il est 17h30 lorsque Arthus, Sommers et O’Donnell sont accueillis par le concierge de l’hôtel, un Egyptien d’une cinquantaine d’années, qui leur demande leurs pièces d’identité. L’établissement ne compte pas moins de 350 chambres, à partir de £ 16.00 la nuit (soit environ US$ 80.00) ; il fallait compter £ 25.00 pour une suite. Autour d’eux, de nombreux serviteurs noirs en tenue vont et viennent, répondant au moindre désir des clients. Marvin et Arthus prennent deux chambres simples contiguës : la n°326 pour le Frenchy et la n°327 pour le privé, les réservant pour trois nuits. Sommers opte pour une suite dans les étages supérieurs qu’il réserve pour la semaine. Les domestiques s’occupent de monter leurs bagages et, après avoir pris une douche, ils sont invités à prendre le thé dans le petit salon de l’hôtel. Après s’être rafraîchis et lavés, les trois comparses redescendent pour profiter du thé offert par l’établissement.

 

L’endroit respirait luxe, calme et volupté, mais certains touristes leur ayant confié que le restaurant de l’hôtel n’était pas le plus réputé, ils décident plutôt d’aller dîner à l’extérieur. Avant de sortir, le concierge leur rappelle qu’ils doivent s’enregistrer dès le lendemain matin auprès des autorités égyptiennes et déclarer leurs armes éventuelles pour obtenir un permis. Les bureaux se trouvaient de l’autre côté du parc mais étaient déjà fermés à cette heure.

 

Le jeune guide Ma'muhd
Le jeune guide Ma'muhd

Marvin et Arthus choisissent le restaurant situé juste derrière le Shepheard’s : Le Célestino, lequel proposait une cuisine italienne raffinée et des vins européens. Attablés autour d’un bon verre et observant les allées et venues, le duo essaie de lier conversation avec ceux qu’ils pensent être liés d’une façon ou d’une autre à l’archéologie.

Le Frenchy se fait passer pour un belge souhaitant monter une expédition et présente O’Donnell comme son garde du corps. Le duo passe un bon moment en feuilletant le Bulletin du Caire, le journal le plus important du pays dirigé par Nigel Wassif, la personne connaissant le mieux la ville et les personnes les plus influentes aux dires de leurs interlocuteurs. Puis ils regagnent leurs chambres et savourent une bonne nuit de repos.

 

Sommers, une fois de plus, fait faux bond à ses camarades et décide de se rendre à l’Hôtel El-Hati, situé rue Sharia Alfi Bey, le meilleur restaurant indigène du Caire. Les couverts étaient en argent, la décoration moderne contrastait avec la cuisine traditionnelle arabe qui se mangeait assis par terre avec la main, et le dîner, constitué de feuilles de vigne fourrées au riz et à la viande, d’un ragoût de mouton aux fèves et d’une crème de farine de blé à la fleur d’oranger se révèle délicieux. Steeve y feuillette lui aussi le journal du jour, mais n’y découvrant rien de notable, il écoute les conversations des tables voisines.

 

Il apprend ainsi en vrac qu’on pouvait croiser au Shepheard’s Hotel l’archéologue Howard Carter qui, bien que ne vivant pas au Caire, possédait l’exclusivité des explorations de la Vallée des Rois depuis 1915 et avait décidé de rouvrir la tombe de Toutânkhamon ; que le roi actuel, le Roi Fouad, cherchait à s’affranchir le plus vite possible de l’Occident ; que Sir Allenby, sous les ordres duquel il avait d’ailleurs combattu lors de la guerre, était le haut commissionnaire aux affaires anglaises en Egypte ; que Winston Churchill était un habitué du Caire ; qu’un Occidental inconnu avait été retrouvé mort dans la vieille ville ; que le Docteur Georges Reisner dirigeait les fouilles archéologiques pour l’Université d’Harvard, principalement autour de la pyramide de Gizeh et du Sphinx ; que la personne la plus influente de la police du Caire était le lewa (brigadier) Thomas Russel Pacha, chef de la police égyptienne, actuellement en pleine campagne anti-drogue ; que Valentine Williams, correspondant au Caire pour le London Times, connu pour ses analyses politiques sur l’évolution du pays depuis son indépendance, fréquentait assidûment le bar du Shepheard’s et faisait régulièrement la descente du Nil pour visiter les sites de fouilles ; que le Shepheard’s, lieu de prédilection des riches Occidentaux et des millionnaires, était effectivement LE départ de toute expédition ou de tout safari ; et que si le meilleur moyen pour se déplacer dans cette cité tentaculaire restait la marche à pied, malgré les détrousseurs et les mendiants importunant sans cesse les étrangers, il était aussi possible d’utiliser le tramway.

 

Lors de son trajet retour vers l’hôtel, un Egyptien d’une quarantaine d’années l’apostrophe dans un anglais hésitant et lui propose de lui servir de guide dans la ville. Mais avant que Sommers, méfiant, ne puisse répondre, un gamin surgi de nulle part jette des pierres sur l’individu en l’invectivant, lequel préfère ne pas insister et décampe aussitôt. « Je m’appelle Ma’muhd, M’sieur. Lui, c’est un détrousseur de touristes. Tu f’rais mieux de m’choisir, et en plus j’suis moins cher ! » Séduit par l’audace de cet orphelin de 11 ans, maigre et miteux, Steeve lui donne £ 1.00 pour s’attacher ses services mais, refusant de lui indiquer le nom de son hôtel, le gosse disparaît en courant dans la nuit.

De retour dans sa chambre, Sommers en bloque la porte, comme Marvin et Arthus d’ailleurs, et profite à son tour d’une nuit réparatrice.

Le tramway, fort apprécié des habitants du Caire
Le tramway, fort apprécié des habitants du Caire

Jeudi 5 mars 1925:

 

Le lendemain, O’Donnell et Arthus, conformément à la loi en vigueur, suivent le groupe de touristes arrivés la veille jusqu’au bâtiment officiel, afin de s’y faire enregistrer et de déclarer leurs armes. Sur le chemin, alors qu’il suit à distance ses compagnons pour ne pas s’afficher avec eux au cas où ils aient été repérés, Steeve est accosté à nouveau par le jeune Ma’muhd qui lui emboîte le pas.

Evitant de mentionner leurs mitrailleuses Thomson, leurs grenades, leur fusil à pompe et autre Browning, les trois compères déclarent leurs autres armes, plus classiques. A l’issue de ce parcours administratif, on leur remet un courrier signé par Lord Allenby. "Un truc pour touristes", en conclut Arthus en parcourant distraitement le document.

 

"Cher et Honorable Invité, Bienvenue au Caire. Le Caire est une ville de contrastes, une métropole moderne parsemée d’antiques trésors. Le Caire est une ville à connaître et à apprécier. Le Caire moderne est l’égal de n’importe quelle ville d’Europe ou d’Amérique. Ses hôtels offrent tout le confort occidental ; ses restaurants et ses cafés allient les saveurs de l’Europe à celles de l’Egypte. L’Opéra et les théâtres accueillent les meilleurs artistes mondiaux. Des tramways modernes permettent de se rendre vingtquatre heures sur vingt-quatre en n’importe quel point de la ville. Ses rues sont sûres et le voyageur partout bienvenu. La Vieille Ville n’a que peu changée depuis les Mille et Une Nuits. En arpentant ses rues, on se retrouve dans Le Caire de Simbad le Marin. Les souks contiennent tous les trésors des temps antiques et modernes et les vendeurs s’y montrent courtois et anxieux de plaire. Le Caire peut aussi vous instruire. Ses excellents musées et ses bibliothèques sont ouverts à tous et j’encourage vivement tous les visiteurs à en profiter pleinement pendant leur séjour. La plus vieille université du monde, l’Université Al-Azhar, un siège du savoir depuis le Xe siècle, s’est parfaite en s’associant à la récente American University of Cairo. Prenez donc le temps d’aller admirer les pyramides de Gizeh toutes proches. Ces Merveilles du Monde Antique devraient obligatoirement faire partie de toute visite dans cette fantastique métropole. Si vous pouvez rester une quinzaine de plus, je vous recommande les excellentes croisières qui remontent le Nil vers les cités des anciens pharaons. C’est là qu’est la véritable Egypte et il serait dommage de la laisser de côté. Le Caire est une ville qui monte, qui monte vers un futur fort et brillant, solidement fondé sur les traditions du passé. J’espère que vous apprécierez votre séjour au Caire et que vous y reviendrez. Si mon assistance peut se révéler utile, n’hésitez pas à me le faire savoir.

Votre serviteur, Lord Allenby."

Né le 23 avril 1861 à Brackenhurst dans le Nottinghamshire, Edmund Henry Hynman Allenby participe à la 2nde Guerre des Boers et fait partie d’une nouvelle génération d’officiers britanniques révélés lors de cette guerre. Nommé inspecteur général de cavalerie en 1910, il prend ce poste au moment où celle-ci connaît de grands bouleversements. Deux visions divergentes existaient au sein de la cavalerie britannique, l’une privilégiant les attaques latérales à l’épée ou la lance, l’autre mettant l’accent sur l’infanterie montée et la puissance de feu. Pour Allenby, l’importance de la puissance de feu est soulignée par l’introduction de la mitrailleuse et la formation des cavaliers dans les tactiques d’infanterie, mais les attaques frontales à l’arme blanche sont également possibles. Il souligne aussi l’importance de la cavalerie lors des mouvements de retraite d’une armée par la couverture qu’elle peut fournir. Ses inspections sont rapides, brutales, et beaucoup d’officiers subalternes et de rang le détestent. Ces éléments et les brusques explosions de rage visant ses subordonnés, associés à un physique puissant, lui valent le surnom de « The Bull ». Lors de la Grande Guerre, il participe notamment sur le front Ouest à la bataille d’Arras (printemps 1917) où il dirige la 3ème armée britannique. Nommé ensuite au commandement de la Force Expéditionnaire Egyptienne, il gagne rapidement le respect de ses soldats grâce à ses nombreuses visites des premières lignes, réorganise les troupes stationnées en Égypte et soutient les efforts de T.E. Lawrence et des groupes de rebelles arabes en les finançant à hauteur de 200 000 £ mensuel. Ses principaux faits d’armes sont la bataille de Mughar Ridge, la prise de Jérusalem le 9 décembre 1917 où il décide d’entrer dans la ville en compagnie de ses officiers à pied par respect pour sa nature sainte, et la bataille de Megiddo ayant conduit à la capitulation turque du 30 octobre 1918. Nommé Field Marshall en 1919, il est anobli le 7 octobre en tant que vicomte Allenby, restant au Moyen-Orient comme Haut Commissaire pour l’Égypte et le Soudan.

La rue du Chacal
La rue du Chacal

Sous une chaleur accablante, ils quittent les beaux quartiers et s’enfoncent dans le Bazar de la vieille ville, un labyrinthe sombre et relativement sale aux forts relents d’épice. Désorientés, perdus au milieu de tous ces étalages et échoppes débordant sur la chaussée, oppressés par cette foule bigarrée et hétéroclite qui se presse autour d’eux en cherchant à leur refourguer des babioles attrapes-touristes ou leur jetant des regards torves, les trois compères sont vite incapables de retrouver leur chemin. Sans Ma’muhd pour les guider dans ce dédale de ruelles, d’allées et de venelles, bien trop étroites pour que des véhicules y circulent, ils perdraient plusieurs heures à sortir du Vieux Caire… s’ils en sortaient !

Au bout d’un moment, ils parviennent finalement jusqu’à une rue un peu plus grande et très animée, grouillante de gens et de calèches, bordée de nombreux commerces. Il s’agissait de la Rue des Chacals, qu’ils commencent à remonter. Mais en arrivant devant l’adresse donnée à Ma’muhd par des artisans, une surprise les attend. Le bâtiment n’était plus qu’une ruine. Demandant au jeune guide de se renseigner, ils apprennent que la maison avait brûlé 5 ou 6 ans plus tôt et que le propriétaire était parti précipitamment. En échange de quelques pièces, on finit par leur dire qu’il avait semble-t-il ouvert une boutique d’antiquités dans un autre secteur du Vieux Caire, dans la rue des Potiers. Si Arthus et Sommers retrouvent avec un certain plaisir l’ambiance exotique qu’ils ont connue lors de leurs précédents séjours en Egypte, O’Donnell serre les dents, se retenant d’exploser. -Les voilà repartis pour deux heures d’errance dans ces quartiers pourris de la vieille ville, toutes les femmes qu’ils croisent sont voilées, et le "restaurant" -un grand mot pour désigner cet infâme boui-boui à la nourriture infecte- où ils s’arrêtent déjeuner est à son grand dam rempli … d’Egyptiens !

Faraz Najir
Faraz Najir

Ils finissent néanmoins par arriver à destination et, parmi les échoppes des potiers (la rue portait bien son nom), ils voient une petite boutique relativement récente. Sur la devanture, une enseigne indiquait en français et en anglais : Faraz Najir, magasin d’antiquités.

Tandis que le trio pénètre dans l’échoppe, Ma’muhd part en courant comme pris d’une subite intuition. Il n’y a aucun client à l’intérieur et la boutique est envahie de tout un tas d’objets hétéroclites. Un gros bonhomme s’avance vers eux d’un pas traînant, les saluant dans un anglais relativement correct teinté d’accent cairote. Remontant le long de sa gorge et sur sa main, ils remarquent d’horribles cicatrices de brûlures.

Prenant les devants afin qu’O’Donnell ne commette pas d’impair, Arthus s’approche de lui, tandis que Sommers reste près de l’entrée. Mais lorsque le Frenchy mentionne le nom d’Erica Carlyle, l’homme semble troublé et commence à paniquer. Il leur demande de sortir sur le champ en hurlant, visiblement effrayé. Puis il attrape un cimeterre qu’il se met à faire tournoyer devant lui en les invectivant. A peine a-t-il commencé à brailler que tout le quartier s’attroupe devant la boutique en les regardant de travers et, alors que l’homme appelle à l’aide et qu’ils reculent devant la lame de son arme, une foule surexcitée commence à les entourer. Marvin sort quelques billets, mais sans effet. Arthus se rapproche alors de l’homme et lui glisse discrètement £ 20.00.

« Retrouvez-moi à la mosquée du quartier à la prière du soir » murmure alors ce dernier au Frenchy, avant de recommencer ses cris. Quittant la boutique sous les quolibets et les crachats de la foule, les trois hommes s’éloignent sans demander leur reste.

Sentant une main se glisser sous sa veste, O’Donnell se retient in extremis pour ne pas l’attraper et en briser quelques doigts. Dans leur situation, ce geste n’aurait pas manqué d’inciter la foule hostile à les lapider sur place.

 

Ne voyant aucune trace de Ma’muhd à l’horizon, le trio décide donc d’attendre dans une ruelle voisine. « Merde, j’ai rien fait, quoi ! » râle Marvin, persuadé que son approche aurait été moins catastrophique que celle d’Arthus. Sommers, lui, préfère rester silencieux. Bravo la discrétion ! Le gamin revient au bout d’une heure, et ils lui demandent alors de leur montrer la mosquée, puis de les conduire dans un café voisin où ils pourront patienter jusqu’à l’heure du rendez vous. Ils lui demandent ensuite de leur indiquer une rue plus large avec des calèches et d’en faire venir une pour les y attendre à partir de 23h00. Steeve lui donne £ 1.00 de plus, et Ma’muhd disparaît dans les ruelles. Pourquoi l’homme avait-il réagi ainsi, se demandent-ils perplexes. En compagnie de son comparse français, Marvin reste assis au bar, mal à l’aise et se sentant épié ; le privé commençait à sentir son sang bouillir.

Steeve, de son côté, préfère faire le guet, surveillant discrètement les alentours en tournant dans les rues voisines, faisant mine de regarder les échoppes.

La mosquée du quartier des Potiers
La mosquée du quartier des Potiers

Un peu avant la tombée de la nuit, ils entendent les appels à la prière du muezzin depuis le haut du minaret et repèrent facilement le gros marchand, venu comme prévu à la prière du soir. Une fois les fidèles partis, à l’exception du dénommé Faraz Najir, ils gagnent discrètement la mosquée où, après s’être déchaussés, ils sont invités à rentrer par un homme en djellaba venu à leur rencontre. Ils traversent une première salle, suivent un couloir, descendent une volée de marches, empruntent un autre couloir, traversent une autre salle, remontent quelques nouvelles marches, et atteignent finalement un petit salon.

Installé près d’une table basse entourée de quelques coussins, le marchant les y attendait, l’air toujours aussi inquiet. Il les invite à s’asseoir, alors que l’autre homme reste posté près de l’entrée. « Que venez-vous faire ici, étrangers ? S vous cherchez la même chose que Roger Carlyle, vous êtes sur une voie dangereuse » commence-t-il. « Vous n’avez pas idée des puissances sévissant dans mon pays... Carlyle effectuait des recherches sur une période passée de l’Egypte antique, à l’époque du Pharaon Noir, un roi cruel abattu sous le règne de Snéfrou, premier roi de la IVème dynastie, 2 500 avant JC. Je détenais des objets datant de cette époque, et c’est ça qui, je pense, a dû attirer l’intérêt de Carlyle...Il est possible que j’ai subtilisé ces objets dans la villa d’un richissime commerçant de coton, très influent au Caire, un dénommé Omar Shakti. Le représentant de Carlyle ici, un Français nommé Auguste Loret, un notaire je crois, m’a contacté pour me les racheter : Un papyrus décrivant la tombe de ce Pharaon Noir avec un plan, un buste le représentant, ainsi que tout un tas d’objets supposés magiques. Un petit tambour recouvert d’étrangers symboles et un serre-tête sensé être l’authentique couronne du pharaon, symbolisant notamment sa victoire sur la mort... Une Secte sévit bien ici, étrangers, mais personne ne vous en parlera. Celle du Pharaon Noir. Ce sont eux qui ont essayé de récupérer ces objets et m’ont puni pour les avoir eus en ma possession », dit-il en leur montrant ses atroces brûlures. « Ils sont des milliers. Si vous commencez à enquêter sur cette confrérie, vous prenez de très grands risques. Je sais qu’ils recherchent toujours d’autres objets actuellement… » Voyant que l’homme hésite et se fait un peu prier pour continuer, Sommers lui tend £ 20.00. « J’ai entendu dire que cette confrérie cherchait à récupérer un objet conservé et gardé dans la Mosquée Ibn Touloun, près de la Cité des Morts », ajoute l’homme en jetant un regard apeuré autour de lui, comme si d’obscures puissances pouvaient l’entendre. « Mais comme il s’agit de la plus importante mosquée du Caire, je ne pense pas qu’ils s’attaqueront ouvertement à ce lieu de culte, mais sait-on jamais … » Leur interlocuteur, comme s’il en avait trop dit, les invite alors à quitter les lieux. Le trio se fait raccompagner jusqu’à l’entrée de la mosquée par l’homme en djellaba, un occupant des lieux visiblement.

 

 

Ma’muhd les attendait dehors et les accompagne sans tarder jusqu’à la calèche qu’ils lui avaient demandée.

A cette heure tardive, les rues étaient désertes mais envahies par des hordes de chats. De retour au Shepheard’s, Marvin demande au concierge en pleine nuit de lui donner la liste des notaires français du Caire ; devant son refus, il serre les poings en se retenant de frapper cet imbécile. Puis les trois compères regagnent leurs chambres, ferment leurs portes à double-tour et, après une douche bienvenue, sombrent dans les bras de Morphée.

Boutique de la rue des Scorpions
Boutique de la rue des Scorpions

Vendredi 6 mars 1925:

 

Après le petit déjeuner, sans attendre ses coéquipiers, O’Donnell se rend à la réception. Après s’y être plaint du concierge, il leur demande à nouveau la liste des notaires français du Caire. Obtenir ce genre d’information étant beaucoup plus facile de jour que de nuit, et il ne tarde pas à avoir une liste. N’y figuraient que trois noms, mais point de Loret ! Il appelle donc les notaires les uns après les autres pour se renseigner, mais sans succès. La pression monte. Si le dénommé Loret habitait au Caire, il devait forcément être enregistré, god damn it ! Le privé se rend alors au Consulat Français, situé à deux pas de là, prétextant chercher ce Loret pour faire des affaires avec lui dans l’import/export. Après une dizaine de minutes, son interlocuteur revient et lui donne une adresse : La Porte Rouge - rue des Scorpions - Darb el H’mar. « Je ne pense pas que quelqu’un habitant ce quartier soit en mesure de faire des affaires avec qui que ce soit … » ajoute l’homme avec un petit sourire.

L’adresse correspondait en effet au quartier pauvre de la vieille ville, un bazar de la Sharia Muezzedin Allah. Marvin donne une pièce à un gamin croisé dans la rue et réussit, non sans mal, à ce qu’il le conduise jusqu’à l’adresse indiquée. Voilà donc O’Donnell seul, en plein milieu du Vieux Quartier, entouré de tous ces pouilleux mécréants. Au bout de trois heures, sa patience mise à rude épreuve, il atteint finalement sa destination. Assis nonchalamment sur le seuil, trois types enturbannés et vêtus de djellabas crasseuses, à l’air on ne peut plus louche, le fixent bizarrement, et le privé leur donne £ 2.00 à chacun. Le plus vieux se lève et lui fait signe de le suivre à l’intérieur du bâtiment. Tout au fond, il ouvre une petite porte donnant sur une minuscule pièce sordide, plongée dans la pénombre et empestant le tabac froid et l’urine. Une paillasse crasseuse était jetée sur le sol, dépassant d’un matelas rongé par la vermine, et une pipe à haschich trônait dans un coin. Personne.

Comprenant qu’Auguste Loret devait s’adonner dans la journée aux plaisirs artificiels et ne se pointerait probablement pas avant la tombée de la nuit, Marvin demande au gosse, qui ne savait ni lire ni écrire, de traduire au vieil arabe, et il fixe rendez-vous à Loret au crépuscule dans un bar à l’entrée du Vieux Quartier : le Café de France. « Pays de merde ! » rumine l’Américain sur le chemin du retour.

 

Musée archéologique du Caire
Musée archéologique du Caire

De leur côté, après que Steeve a demandé à Ma’muhd, qui patientait devant le Shepheard’s, d’espionner pour eux le dénommé Omar Shakti dont leur avait parlé le marchand en lui donnant £ 2.00, Arthus et lui décident de se rendre au Musée du Caire. D’immenses colonnes en agrémentaient l’entrée. A l’intérieur, une succession infinie de salles, avec des centaines de vitrines et des milliers de bouts de poteries, de tissus, de sculptures, de papyrus, de sarcophages et de pièces d’orfèvrerie, y témoignaient de la richesse de l’Egypte antique et de la civilisation pharaonique. Ils se mettent en quête d’un guide pouvant les renseigner et, au détour d’une salle, ils apostrophent un vieil homme en costume occidental et portant fièrement un fez, occupé à observer une statue antique. « Je suis le Dr. Ali Kafour, conservateur du musée » se présente l’homme dans un anglais quasi parfait. D’une bonne soixantaine d’années, il leur apprend qu’il s’occupait notamment de tout ce qui touchait à l’occulte au sein de l’établissement, et que ces derniers temps, les fouilles les plus intéressantes avaient été organisées par l'Expédition Clive, sur le plateau de Gizeh, financée par la Fondation Penhew. Ces derniers y avaient découvert une momie, mais celle-ci leur avait récemment été volée. « Certains bruits disent qu’il s’agit de la cruelle reine Nitocris, une sorcière de la VIème Dynastie qui voulait ressusciter le Culte du Pharaon Noir. » leur confie-t-il. Aux dernières nouvelles, l’expédition se serait déplacée vers Memphis.

 

Dr Ali Kafour
Dr Ali Kafour

L’érudit semblait en savoir long sur les pans les plus obscurs de l’histoire égyptienne. Rapidement mis en confiance, Arthus et Sommers lui parlent à demi-mot des créatures extra-terrestres étranges et des ouvrages impies qu’ils avaient découverts et ils ne tardent pas à l’interroger sur l’Expédition Carlyle et le Pharaon Noir. Le Dr. Kafour est d’avis que ce sont les découvertes qu’ils avaient faites ici qui avaient conduit Carlyle et les autres à leur perte au Kenya. Bien avant que ne se monte cette expédition, Sir Aubrey Penhew était en effet venu régulièrement en Egypte, s’intéressant en particulier au Pharaon Noir.

Lors de son dernier voyage, ce dernier avait fait une visite sur le site de Dahshur sans venir le saluer comme à son habitude et, à son retour, l’homme était différent, paraissant à la fois plus jeune et plus cruel. « Ce n’était plus le même homme que celui avec qui j’avais eu de longues conversations. Aubrey s’est débarrassé de moi sans ménagement » conclut-il, avant de leur narrer l’histoire du Pharaon Noir.

 

« A la fin de la IIIème Dynastie, un certain Nephren-Ka est arrivé en Egypte. C’était un puissant sorcier qui, d’un claquement de doigts, pouvait semer la mort et la folie sur ses ennemis. Les histoires prétendent qu’il viendrait d’une antique cité des déserts arabes, Irem, la Cité des Piliers. Cet endroit est redouté de tous ceux qui en ont connaissance, et il est d’ailleurs mentionné dans l’ouvrage maudit "Al-Azif", également appelé "Necronomicon", dont un exemplaire est conservé ici et que j’ai eu le privilège de parcourir … » ajoute-t-il. « Nephren-Ka a restauré le culte d’un dieu antique et abominable, le Pharaon Noir. Rapidement, Nephren-Ka et le dieu se sont confondus dans les esprits et le sorcier est passé à la postérité sous le nom de Pharaon Noir. Nul ne peut maintenant faire la part entre la légende et l’Histoire. Pendant de nombreuses années, le Pharaon Noir et les successeurs de Djéser, les pharaons de la IIIème Dynastie, se sont affrontés pour le contrôle du pays, mais le pouvoir du Pharaon Noir était tel que ses adversaires disparaissaient sans laisser de traces. Nephren-Ka a ainsi régné sur le Nil et ses peuples jusqu’à l’apparition de Snéfrou, fondateur de la IVème Dynastie. Celui-ci, aidé de la déesse Isis, a réduit à néant les maléfices du sorcier et a fait exécuter Nephren-Ka. Une pyramide a pourtant été construite pour accueillir la dépouille du sorcier ... ». Le conservateur suppose qu’elle visait à protéger l’Egypte des résidus de puissances magiques encore liés au cadavre. « Mais cette première pyramide, située à Meïdoum, s’est effondrée alors même que Snéfrou en faisait déjà construire une seconde, la Pyramide Inclinée de Dahshur. Certains documents laissent entendre que le cadavre de Nephren-Ka a été retiré de la pyramide de Meïdoum et placé dans la Pyramide Inclinée, mais l’exploration des lieux n’a jamais rien pu confirmer. La Pyramide Rouge de Dahshur, effondrée elle aussi, est également attribuée à Snéfrou. La légende raconte qu’elle protège le pays d’un éventuel retour de Nephren-Ka d’entre les morts… Après sa victoire, Snéfrou a ordonné la destruction de toutes les traces du règne du Pharaon Noir, mais ses adorateurs ont continué à comploter pour son retour. Ils finiront par être repoussés vers le sud, hors d’Egypte, jusque dans les monstrueux marais au-delà du Soudan. » Le Kenya, se disent aussitôt les deux aventuriers. « Sous la VIème Dynastie, la cruelle reine Nitocris se serait alliée à un nouveau culte du Pharaon Noir, mais il n’en existe aucune preuve directe » termine le Dr. Kafour qui leur laisse pourtant entendre que c’est exact. A leur grande surprise, l’homme pense que toutes ces légendes étaient vraies et que ce Pharaon Noir, entité connue aussi sous d’autres noms comme "le Vent Noir", "la Femme Boursouflée" ou "la Langue Sanglante", fait partie d’un panthéon de dieux anciens ou très anciens.

 

Son excellent ami Nigel Wassif, qui dirige le Bulletin du Caire, pourra les renseigner sur l’Expédition Clive et le vol de la momie. « Je peux aussi vous écrire une lettre d’introduction pour Achmed Zehavi, le Nazir de la Mosquée Ibn Touloun. Ce dernier pourra peut-être vous en dire plus. Mais à vous de le convaincre. Il vous accueillera grâce à cette lettre et vous écoutera ; soyez le plus honnête possible et de bonne foi dans ce combat contre le Mal que vous voulez faire vôtre ! »

Le Nazir Achmed Zehavi
Le Nazir Achmed Zehavi

Soulagés d’avoir trouvé semble-t-il un allié potentiel en la personne du Dr. Kafour, Steeve et Arthus regagnent le Shepheard’s. Y retrouvant O’Donnell, ils décident sans tarder de profiter de la lettre d’introduction rédigée par le conservateur et de se rendre à la Mosquée Ibn Touloun, se remémorant avec inquiétude les paroles de Faraz Najir. Selon lui, les sbires du Pharaon Noir voulaient y récupérer quelque chose... Le contraste entre les imposantes dimensions de ce bâtiment antique, le plus vieil édifice du Caire, et sa seule et ridicule porte d’entrée était saisissant. Le trio gravit les marches menant à l’entrée, mais la mosquée semblait fermée. Frappant à la porte, celle-ci s’entrouvre et Arthus remet à l’homme en djellaba les inspectant de la tête au pied la lettre d’introduction de Kafour, expliquant en arabe qu’il venait voir Achmed Zehavi. Après quelques minutes d’attente, on les autorise à pénétrer dans le lieu saint.

L’endroit est frais et agréable, et l’intérieur de toute beauté. Après avoir traversé deux salles aux splendides décorations exotiques, ils sont conduits jusqu’à une fontaine où l’homme les invite à se purifier, en s’y lavant les mains, les pieds et la tête. Puis il les entraîne à travers une succession de couloirs et de salles. C’était non seulement un lieu de culte magnifique, où les boiseries de formes géométriques diverses et variées témoignaient du savoir-faire des artisans cairotes, mais aussi un hospice où l’on soignait les malades sans le sou. Ils traversent la salle principale, aux très riches ornementations, et leur guide les conduit tout au bout du bâtiment, leur demandant de patienter dans l’antichambre d’un bureau. Il les laisse seuls quelques instants, disparaissant derrière une porte, et revient bientôt en escortant un très vieil homme à la barbe blanche qui sort de son office pour les accueillir. Vêtu d’une austère et sobre djellaba, le Nazir inspirait pourtant le respect et sa simple présence calme même l’impulsif O’Donnell. Son visage est usé et buriné par le temps, mais ils devinent pourtant derrière ses traits respirant la sagesse une extrême vigilance et une énergie peu commune. Le vieil homme semble disposé à répondre aux questions des Occidentaux. Tandis que ses trois invités lui expliquent être des combattants du Mal et de ses sbires, il les scrute attentivement, avant de les inviter à le suivre jusqu’à un escalier descendant dans les entrailles de la Mosquée. « Il existe bien une confrérie du Pharaon Noir, une secte d’assassins, mais nous les avons repoussés maintes fois avec le Sabre de Dieu. Suivez-moi ! » leur dit-il. Le conduit est tellement étroit que Marvin doit s’y contorsionner. Au bout, l’Imam frappe à trois reprises sur une épaisse porte en bois massif renforcée de ferrailles et des bruits de mécanismes résonnent de l’autre côté.

Nessim Efti
Nessim Efti

A la suite du Nazir, ils pénètrent dans une petite pièce complètement vide, à l’exception de quatre vieux barbus armés de cimeterres qui entourent un petit coffret posé sur un rondin. « Dans ce coffre repose l’objet de leur convoitise », leur confie Achmed Zehavi. « Cette ancienne ceinture a appartenu à la terrible sorcière Nitocris. Nous avons essayé de la détruire à maintes reprises, mais elle s’avère indestructible. Nous avons été incapables d’égratigner le moindre maillon d’or la composant. Nous pensons que ces suppôts du Mal essaient de ressusciter la sorcière afin qu’elle fasse renaître le Pharaon Noir de ses cendres. Nous la gardons donc ici en sécurité, protégée par quatre des plus grands guerriers descendant des lignées de Medjaÿ du désert. Ils ont déjà vaillamment combattu lors de précédentes tentatives d’effraction. ».

L’un des gardes, au corps maigre et anguleux, aux muscles secs et au regard perçant, dégageait une force sereine et se présente à eux comme Nessim Efti. Il possédait une arme différente des autres, un cimeterre d’une beauté absolue ressemblant à une véritable antiquité millénaire, remarque Sommers. « Il s’agit du Sabre d’Akmallah, un cimeterre millénaire, une arme sainte. Sa garde est couverte de pointes, blessant la main du pénitent qui la tient. »

Suivis de Nessim Efti, Steeve, Arthus et Marvin emboîtent le pas du Nazir et quittent la pièce à regret, inquiets de devoir y laisser la ceinture de Nitocris si peu défendue. « L’Essence du Dieu est toujours là. Pour que les Portes soient ouvertes, la Sorcière doit revenir à la vie et la ceinture est certainement un objet-clef dans ce rituel. C’est depuis le passage de cet Américain que nous sommes attaqués. » Ils restent un bon moment à discuter avec les Ulémas. Ces derniers étaient fort âgés et leurs invités comprennent que personne ne viendra reprendre leur charge. Leur apparaîtraient-ils comme des sortes de Croisés capables de poursuivre leur combat contre Sheitan ? Les religieux finissent par prendre congé du Frenchy et du privé, les conviant à revenir le lendemain, et ils invitent Sommers, bien qu’il ne soit qu’un étranger non musulman, à rester pour la nuit à la mosquée pour poursuivre leur discussion sur le Mal et le Bien …

En quittant la Mosquée Ibn Touloun, Arthus entraîne immédiatement Marvin au Musée du Caire pour voir si le Dr. Kafour ne connaîtrait pas par hasard un moyen occulte de détruire la ceinture de Nitocris. Le musée était sur le point de fermer et, par chance, le conservateur était toujours présent. Il les accueille d’un aimable sourire, écoutant attentivement le récit de leur visite chez les Ulémas. « Les sages ont cru en la justesse de votre action et vous ont montré une relique fort résistante, mes amis. Cette ceinture doit être très puissante si, comme vous le dîtes, elle n’a subi jusqu’ici aucun dommage physique. Je ne connais malheureusement pas de sortilèges pour la détruire. Les rituels en ma possession servent généralement à invoquer des alliés, à se protéger ou à contacter des puissances occultes. Il faudrait que je me replonge dans l’étude de mes chers grimoires, mais je crois comprendre que le temps vous manque malheureusement … »

Dépités, ils décident de regagner leur hôtel. Ma’muhd avait réussi à les retrouver et les attendait à la sortie du musée pour leur faire son rapport. Il n’a pas pu apprendre grand-chose : Omar est un riche cotonnier du Caire, et ses champs de coton sont dans la ville de Dibzeh. Maigres informations … Marvin, qui a une idée en tête pour son rendez-vous avec Auguste Loret, drogué notoire, demande au gamin s’il ne saurait pas où dégotter une dose de haschich. Ce dernier hoche de la tête et, devant son large sourire plein d’espièglerie, Arthus lui donne £ 10.00 ; il n’aura qu’à se payer avec la différence. « Retrouve-nous à l’hôtel ! » lui lance le Frenchy alors qu’il s’éloigne déjà en courant, slalomant entre les mendiants et les chalands.

Salle de prières de la mosquée Ibn Tulun
Salle de prières de la mosquée Ibn Tulun

De son côté, resté seul dans la Mosquée en compagnie des Ulémas, Steeve entame une longue discussion avec eux. Tandis que les autres sages se relaient auprès de la ceinture de façon qu’il y en ait toujours deux en faction, le Nazir et le porteur de l’épée restent avec lui, cherchant à savoir quelle est son implication dans son combat contre Sheitan -le Diable comme l’appellent les Occidentaux- et ses séides ; quels sont les accomplissements qu’il a déjà menés ; et quel serait le dernier sacrifice qu’il serait prêt à faire pour achever sa quête.

 

Mis en confiance par la sagesse se dégageant de ses hôtes, Steeve décide de leur raconter brièvement son enfance passée dans le ranch d’une riche famille texane, dont il enviait la fortune, et ses quelques années de galère à New-York dans la pauvreté, avant de s’engager dans l’armée américaine. Il passe rapidement sur les horreurs de la guerre en France, et la mort de son ami Marcel Franchard dans les tranchées expliquant son départ pour l’Egypte, ainsi que sur son séjour précédent dans leur pays. Ne cherchant pas à dissimuler son désir d’alors de devenir riche et de fréquenter lui aussi la haute société, comme une revanche sur son enfance, il expose aux Ulémas sa vie à Paris, ses dîners mondains et ses activités clandestines lui paraissant désormais bien frivoles. C’est sa rencontre avec un riche américain, lui offrant un emploi à Boston, qui l’avait fait revenir en Amérique et avait changé sa vie et ses priorités, leur raconte-t-il. Résumant leurs aventures et leurs rencontres avec ces hideuses créatures extra-terrestres surgies des Enfers et ces monstres démoniaques, il leur parle des crevettes géantes, des ‘criquets’ -sorte d'insectes intelligents prenant possession de leurs hôtes-, de l’horrible ver entrevu dans le puit chez JU-JU, des dragons de l’Essex et de l’homme-serpent. Il leur raconte le meurtre de son ami Jackson Elias et leur enquête sur l’Expédition Carlyle, ainsi que leurs découvertes quant à l’ouverture d’un Portail risquant d’ouvrir le monde au Mal !

 

Il leur parle des nombreux suppôts du Malin qu’ils ont combattus, la Secte de la Langue Sanglante à New-York et les adorateurs du Pharaon Noir à Londres. Ce Pharaon Noir, autre nom de Sheitan, appelé aussi Nyarlathotep. Dans ce lieu saint et paisible, Sommers se met à nu. S’il s’était tout d’abord retrouvé mêlé à tout ceci, c’était par pur hasard et pour devenir plus riche, puis pour venger la mort de son ami. Mais devant ce qu’il avait appris récemment, ses objectifs passés lui paraissaient désormais bien dérisoires. Il avait trouvé un nouveau but à sa vie. Comme ces sages l’avaient compris bien plus rapidement que lui, il était effectivement devenu une sorte de Croisé. Les voix d’Allah sont impénétrables, et son destin était apparemment de combattre le Démon. Ainsi soit-il. Il espérait que cette discussion nocturne avec les Ulémas le conforterait dans cette décision. Car s’il était prêt à mourir, il se voulait optimiste et espérait vivre assez longtemps pour trouver l’amour et avoir une descendance. En tout cas, insiste-t-il, ce que ses compagnons et lui avaient appris les incitait à croire qu’une attaque de la Mosquée pour s’emparer de cette ceinture était imminente, et le vol de la momie de Nitocris laissait présager le pire. Quelles que soient leurs défenses, l’objet n’était plus en sécurité ici selon eux.

 

« Vos desseins sont nobles et désintéressés, Steeve, et ce sont des hommes comme vous qui peuvent se mettre en travers du Mal et à terme le repousser. » concluent les Ulémas. « Nous sommes vieux », ajoute le porteur de l’épée, « et je n'ai pas encore trouvé celui qui me succédera au port de l’arme sacrée. Pensez-vous avoir la force, la détermination et la foi suffisantes pour en être le nouveau détenteur ? » « Il est bon et rassurant de rencontrer des hommes tels que vous. Vous ne pouvez imaginer combien rencontrer des alliés dans cette lutte contre le Mal est un baume au coeur », répond Sommers en toute sincérité. « Nous nous sentions un peu seuls face à cette menace. Je ne sais pas si j’ai la force, la détermination ou la foi pour tenir cette arme sainte, et je serais bien vaniteux de répondre par l’affirmative. Mais je suis prêt à essayer. Que fait-elle ? Puis-je la tenir ? » « Vous pourriez certainement la brandir », acquiesce son interlocuteur, « mais elle serait essentiellement pour vous source de douleur de par sa garde hérissée. Voyez vous, l’arme ne reconnaît qu’un possesseur ayant suivi les rites de lien. Ces rites requièrent un grand sacrifice de la part du demandeur, un sacrifice de sang mais également de l’esprit. Il serait également inapproprié que le porteur ne prononce pas la Chahada, l'attestation de foi de tout homme entrant dans la Oumma de plein choix. »

 

 

Après quelques secondes de silence, Sommers hoche la tête : « Je comprends … Quels sont ces rites de lien ? Et que sont la Chahada et la Oumma ? Pardonnez mon ignorance, mais si je suis prêt à combattre le Mal et à vous succéder, j’aimerais en savoir un peu plus, ô illustres sages ! » « L’arme a le pouvoir de trancher l’intangible, elle protège également son porteur des attaques de l’esprit » lui apprennent-ils. « Le rituel consiste en un don de sang par sa lame ainsi qu’un investissement profond de l’esprit ! Quant à la Chahada, c'est le premier pas de l'entrée dans l’Islam, Steeve. » Quelque peu dubitatif, ce dernier hésite. « C'est effectivement une lame puissante pour qui combat ces Démons. Entrer dans l'Islam ? Je crois au Bien, par rapport au Mal. Mais je ne sais pas si je crois en Allah ou en Dieu. Après tout, si le Malin a plusieurs noms, le Bien doit aussi se nommer de diverses façons… Si vous pensez que nous sommes des Croisés, que notre combat est juste et que je mérite cette arme, allons-y. Commençons ce rituel ... » lâche finalement Steeve, en retenant quand même un frisson, un mélange de peur et d'excitation. « Ce n'est pas aussi simple, Steeve. Reconnaître que Dieu est le seul Dieu et que Muhammad est son messager est un pas important de votre évolution spirituelle. Nous, Musulmans, pensons que les prophètes précédents étaient dans l’erreur ou n’avaient pas su entendre la parole divine, les saints ouvrages ayant précédé le Très Saint Coran n’en sont que plus faussés. Implicitement, si vous souhaitez aller dans cette voie, vous devez accepter cela. » Sommers hausse les épaules. S’il avait encore quelques légères réticences, il avait fait son choix et le temps pressait. « Inch Allah... Je ne suis d’aucune religion pour le moment et je suis prêt à vous croire. Mais jamais je ne combattrai quelqu’un uniquement car il croit à un autre Livre Saint ou à d’autres prophètes » déclare-t-il. Avant d’ajouter : « Et je pourrais quand m'habiller à l’occidentale comme avant, non ? » « Personne ne vous parle de combatte les autres croyants, même s'ils sont dans l’erreur, Steeve » le rassurent ses interlocuteurs. « L’Islam est une religion de tolérance et non de contraintes. Rien de ce qui est exigé des croyants n'est insurmontable. Réciter la Chahada implique que vous adhériez à nos croyances les plus profondes, seules capables de repousser les Ténèbres de Sheitan. La Profession de Foi, pour qu'elle soit acceptée, exige certaines conditions fondamentales : la connaissance de sa signification ; la sincérité dans sa prononciation et dans son application ; la certitude en elle ; l'acceptation de cette phrase ; la soumission totale à ce qu'elle implique ; l'amour de cette attestation ; la mécréance en toutes croyances, actes ou paroles annulant cette dernière. Nous ne cherchons pas à vous forcer, Steeve, nous comprenons absolument que cela puisse vous perturber dans la mesure où vous n'êtes pas le requérant. La bonne pratique de l'Islam repose sur les cinq piliers de la Foi : La Chahada, l'aumône annuelle (la Zâkat), les cinq prières quotidiennes, le ramadan et le pèlerinage une fois dans sa vie. » Sommers écarte ces arguments d’un revers de la main : « Étant donne les forces démoniaques que nous affrontons, accepter ces conditions me semble une évidence. Néanmoins, je connais peu votre religion... comme beaucoup d’autres d’ailleurs. Pouvez-vous m’en dire plus : ce qu’elle est, ce qu’elle signifie, ce qu’elle implique ? Je ne peux engager ma parole sans le savoir. Et pouvez-vous m’apprendre cette Chahada et comment la prononcer. Je ne veux pas brusquer les choses, ô vénérables, mais le temps presse. D’ailleurs, si vous pouviez aussi m’éclairer sur cette Zâkat, ces prières quotidiennes, ce ramadan et ce pèlerinage... » « Le mois de ramadan est un mois durant lequel nous, Musulmans, communions avec plus de ferveur que le reste du temps », lui apprennent-ils. « Il s'agit d’une mise à l’épreuve autant qu’un abandon d’oisiveté. Du lever au coucher du soleil, il nous est interdit de manger ou de boire. La Zâkat est un don que vous devez faire, abandonner une partie de vos richesses, à votre convenance, pour le bien des désoeuvrés de la communauté. Cinq fois par jour, à des moment bien précis de la journée, il convient de prier, orienté vers la Mecque. Il est conseillé de le faire en groupe pour la communion entre les croyants, mais ce n’est en rien une obligation. Quant au pèlerinage, c’est l’occasion une fois dans sa vie d’aller se recueillir sur les lieux très Saints de l’Islam. » « Apprenez-moi », rétorque Steeve. « Je suis jeune et impatient. Et nous n'avons que peu de temps devant nous. Je suis un , que dois-je faire, moi qui suis étranger à votre culture, pour vous prouver ma bonne foi dans ce combat, Sages Egyptiens ? »

 

Après quelques secondes, et sans s’être concertés, Nessim Efti et Achmed Zehavi le fixent d’un même regard. « Ce sera un apprentissage de toute une vie, jeune Steeve ! Nous t’accueillons avec plaisir et fierté si tu penses que là est ton chemin. N’oublie jamais que chaque nouvelle embûche sur ton chemin n’est une difficulté que si tu la regardes comme telle. Dieu n’exige rien de toi qui ne soit insurmontable. Et ce qui semble l’être n’existe-il pas juste pour te permettre de dépasser tes limites ? Cette nuit, si tu le souhaites, nous procéderons au rituel de l’épée puisque tel est le désir de son actuel porteur. Avant cela, tu réciteras la Chahada ! ASHADU AN LA ILAHA ILLA-LLAH [J’atteste qu’il n’y a de divinité que Dieu] ! WA ASHADU ANNA MUHAMMADAN RASULU-LLAH [et j’atteste que Mohammed est le messager de Dieu] ! » Touché par leurs paroles, Sommers accepte. « Mon chemin semble être de combattre le Mal, et avoir Dieu à mes côtés ne peut qu’être que bienvenu. Ses voies sont impénétrables, et si tel est mon destin, qu’il en soit ainsi. Après tout, combattre ces adversaires n’a fait que repousser encore et encore mes limites, tant physiques que mentales. Lorsque je suis rentré dans cette pièce en bas, votre épée a immédiatement attiré mon regard [NB 01 en TOC], comme si elle voulait que je la remarque. Je pense qu’il s'agit d’un signe, et en tant que Croisé moderne, elle me permettra, je l’espère, de lutter plus efficacement contre les sbires démoniaques du Malin. La volonté de son actuel porteur étant ainsi, procédons au rituel si vous le voulez bien. Mais restons vigilants, au cas où les sbires du Pharaon Noir et leurs créatures attaquent cette nuit. » « Nous allons donc t’apprendre les ablutions de rigueur, car il faut être propre pour communier avec son créateur et tu dois quitter ce que fut ta vie passée, tu dois t’en nettoyer ». Puis ils lui expliquent en quoi consiste le rituel d’initiation. La conversion consistait simplement en une simple récitation de la Chahada devant deux témoins.

 

En revanche, la préparation du porteur de l’épée, c’était autre chose. Avec le sabre, ils lui tranchaient l’intérieur de la main droite pour récupérer cinq gouttes de son sang qu’ils mélangeait avec de l’eau consacrée ; on faisait chauffer le liquide sur un feu de bois et d’encens puis, une fois rafraîchi, le contenu était versé sur sa tête par le précédent porteur de l’épée récitant des bénédictions en arabe. Se prêtant à ces rites, Steeve se souviendrait toute sa vie de ce moment. Il répète par deux fois : "Ashadu an la ilaha illa-llah, wa ashadu anna muhammadan rasulu-llah" et ne bronche pas quand la lame lui coupe la paume de la main. Il salue le vieux porteur une fois sa bénédiction terminée. « J'espère être digne de cette arme et surtout de l’honneur que vous me faites, Illustres Sages ! »

Ensuite tous le félicitent et l’invitent à se joindre à eux pour la dernière prière du soir, et une belle édition du Coran lui est offerte, en arabe bien sûr. « Puis-je tenir la lame entre mes mains ? » demande-t-il humblement à Nessim Efti. Le vieux guerrier la lui tend d’un air digne. « Inutile de te déplacer partout avec le sabre, ce serait inconvenant. Et sois rassuré, tu n’auras pas non plus à faire partie de la garde, c’est leur fardeau… » ajoute-t-il en désignant les derniers descendants des Medjaÿ du désert.

 

La prenant entre ses mains, Steeve parcourt des doigts et du regard l’arme ancestrale. Il s’agissait d’une véritable relique. La lame du cimeterre, longue de 4 pieds, était forgée dans de l’acier damastiqué et devait avoir plusieurs siècles. L’étrange poignée d’ébène et de bronze était quant à elle hérissée de pointes, de telle sorte qu’il était impossible de la brandir fermement sans se blesser. Elle était accompagnée d’un premier foureau, fait d'une très fine couche d'ébène doublé de soie noire, et d’un fourreau extérieur, très bel ouvrage Ottoman devant dater du 16ème siècle. « Akmallah n’est pas un nom arabe », le renseignent les Ulémas. « C’est un mélange du nom Hakim, qui veut dire sage ou juge, et de Allah, Dieu. L’épée d'Allah al-Hakim peut donc vouloir dire l'épée de Dieu le Juge ou Dieu le Sage. »

 

Après avoir partagé en leur compagnie un frugal repas fait de pain, d’huile et de fèves, Sommers imite les sages et quitte la salle commune, leur servant aussi de lieu de lecture, pour rejoindre leurs logements situés non loin de là. Un enfant s’occupait de servir les deux Ulémas en faction dans la cave. Alors que Sommers s’apprête à s’endormir, les sages décident de lui donner un autre prénom. Lorsque quelqu’un choisissait de se convertir, c’était pour eux comme une renaissance. Pour le monde musulman, Steeve choisit alors de s’appeler Ghassan, signifiant ‘ardeur’ et ‘fougue’.

 

Vers 2h00 du matin, alors que la petite communauté est finalement couchée et que Sommers, fatigué par cette longue journée, est plongé dans le sommeil, le sol se met soudain à trembler. « Putain, je déteste avoir raison ! » grommelle l’aventurier en se levant d’un bond. « Suivez-moi ! » lance-t-il en arabe au Nazir et aux gardes présents. « Nous sommes attaqués ! » Sans hésiter, il se précipite vers l’escalier menant à la salle souterraine où était gardée la ceinture, descendant les marches quatre à quatre, le sabre d’Akmallah dans une main, dégainant son Colt-45 de l’autre.