Session 1: A spicy fog encounter

Il ne faut que 7 jours au RMS Majestic pour rallier New-York à Southampton. Pendant la semaine, tandis qu’Arthus passe ses journées enfermé dans sa cabine à lire les « Passages choisis du Livre d’Ivon », Sommers et O’Donnell profitent pendant ce temps des nombreuses activités offertes aux passagers de 1ère classe. Ils fréquentent assidûment la salle de sport et de gymnastique, Marvin s’entraîne au tir au pigeon sur le pont supérieur et Sommers à la natation dans la piscine. Le soir venu, pendant le dîner, les trois larrons essaient de sympathiser avec les demoiselles de la haute, mais si le charme de Steeve et du Frenchy semble opérer, ce n’est pas le cas du privé. Et après le repas, alors qu’Arthus préfère regagner sa cabine pour poursuivre sa lecture, les deux autres se changent les idées en faisant quelques combats de pugilat, d’abord avec les passagers mondains adeptes de la boxe, puis avec les marins. N’hésitant pas à parier, ils se font ainsi quelques billets supplémentaires …

 

Londres vue du ciel
Londres vue du ciel

Samedi 21 février 1925:

 

Arrivés à Southampton, ils passent les douanes sans problème et prennent le 1er train pour Londres, encombrés de leurs malles. C’est aux alentours de 15h00 qu’ils arrivent à la Gare de Waterloo. Le fameux smog londonien, une véritable purée de pois humide et glaçante, recouvrait le quartier populaire entourant la gare. Quelques taxis et anciennes voitures à cheval attendaient les passagers des trains, et alors que Marvin et Arthus prennent un taxi, Sommers choisit d’en prendre un autre et de les suivre à distance. Traversant la Tamise, les deux véhicules rejoignent le quartier de Soho, au centre de Londres, où se concentraient de nombreux hôtels et maisons populaires et où flottait une diffuse odeur d’épices.

A la recherche d’un hôtel luxueux, Marvin et Arthus se font déposer au Savoy Plaza, où ils prennent 2 chambres individuelles pour une semaine ; Sommers, préférant loger dans un autre établissement au cas où ils se fassent repérer, descend quant à lui au Thistle High Park sur Oxford Street et s’offre une suite. Après avoir défait leurs bagages et être passés à la banque pour récupérer des livres sterling, ils se donnent rendez-vous à 19h00 au Savoy et décident de se séparer. Le Frenchy et O’Donnell iront voir l’inspecteur James Barrington à Scotland Yard pendant que Steeve rendra visite au journaliste du Scoop, Mickey Mahoney.

 

Inspecteur James Barrington
Inspecteur James Barrington

Marvin et Arthus traversent Piccacilly Circus et rejoignent donc New Scotland Yard, un gros bâtiment au bord de la Tamise, où ils demandent à voir sans tarder l’inspecteur James Barrington, l’une des personnes rencontrées à Londres par feu Jackson Elias. L’homme, inspecteur chef de la criminelle, était un grand type sec tiré à quatre épingles, à l’air sinistre. « J’ai une mauvaise nouvelle, Jackson est mort ! » déclare d’emblée O’Donnell. Haussant les sourcils, le policier se gratte le menton d’un air perplexe. « C’est troublant en effet, mais je ne connais pas de Jackson ... Qui est-ce ? »

Après qu’Arthus lui ait expliqué l’assassinat de leur ami Jackson Elias à New-York, raison de leur présence ici car ils avaient trouvé dans ses affaires le nom de l’inspecteur, ce dernier leur confirme en effet que le journaliste était venu le voir en décembre dernier, pensant pouvoir l’aider dans une affaire sur laquelle il enquêtait … et enquête toujours d’ailleurs. Une vague de crimes crapuleux et sordides s’abattait sur Londres depuis trois ans, et Barrington suivait l’affaire depuis près d’un an, sans piste sérieuse jusqu’ici. Elias lui avait paru un peu bizarre, parlant de meurtres rituels et de dieux pharaoniques. Ces crimes frappaient surtout la communauté égyptienne de Londres, et bien qu’aucun rituel particulier ne lie ces meurtres, Elias était persuadé qu’ils étaient l’œuvre d’un culte obscur dédié au Pharaon Noir. La première victime avait été découverte le 10 janvier 1922 : il s’agissait d’une femme égyptienne, Ms. Ouadia Jana Bazzi, retrouvée à son domicile défenestrée et poignardée en plein cœur. Les derniers crimes, leur apprend-il, avaient eu lieu les 4 et 5 janvier : Mr. Rajaban Azab Ghannam, écorneur, et Mr. Abdelmajid Talib Daher, épicier, tous deux d’origine égyptienne. L’inspecteur et lui étaient allés ensemble à la Fondation Penhew, rencontrer son directeur Edward Gavigan. Celui-ci leur avait appris qu’une secte portant ce nom avait bel et bien existé, mais il y a de cela fort longtemps au temps de l’Egypte Antique.

New Scottland Yard
New Scottland Yard

Elias et lui avaient aussi fait un tour à la Pyramide Bleue, un club fréquenté par beaucoup d’Egyptiens, et sur les recommandations de Gavigan, interrogé Tewfik al-Sayed, un épicier dont la boutique se situait entre Oxford Street et Charing Cross et qui avait servi de guide à l’une des expéditions financées par la Fondation Penhew. Mais ni lui ni personne n’avait rien entendu au sujet d’une quelconque Secte du Pharaon Noir.

Après que Barrington les ait mis en garde : « Il serait mal vu, messieurs, que des cow-boys étrangers se laissent aller à des débordements dans les rues londoniennes … », Arthus et O’Donnell promettent de se tenir à carreau, avant de prendre congé en prenant la carte de l’inspecteur. Après être passés à leur hôtel pour laisser un mot à Sommers au cas où ils ne soient pas là à 19h00 comme convenu, ils décident d’aller voir Tewfik al-Sayed à Soho. Malheureusement, l’épicerie était fermée ; une pancarte sur la porte indiquait les horaires d’ouverture : 09h00 - 17h00. Les deux compères conviennent donc de revenir dès son ouverture le lendemain matin.

Mickey Mahoney
Mickey Mahoney

De son côté, Sommers prend un taxi jusqu’aux bureaux du Scoop. Situés pas très loin de là dans un immeuble miteux, ils étaient exigus et les tables étaient couvertes de piles de journaux. A peine rentré, le Texan réalise qu’il s’agissait vraisemblablement d’un tabloïd racoleur et populaire, un de ces journaux à sensations s’intéressant plus aux crimes crapuleux, aux faits divers sordides et aux filles dénudées qu’aux actualités économiques et politiques du moment. Il est reçu par un type rondouillard et moustachu, d’une quarantaine d’années, le cigare vissé aux lèvres et portant un chapeau melon élimé sur le crâne.

L’air bonhomme et sympathique, Mickey Mahoney l’accueille avec un grand sourire jovial et lui propose immédiatement £ 15.00 pour tout article qu’il lui proposerait. Le Scoop était un hebdomadaire tiré à quelques 2000 exemplaires. Lorsque Steeve se présente comme un ami de Jackson Elias, enquêtant sur le meurtre de l’écrivain à New-York, l’homme semble sincèrement attristé. Elias était effectivement venu le voir courant décembre. Il lui avait paru très agité et s’était intéressé à deux articles en particulier : l’un portant sur une longue série de meurtres sanglants, l’autre sur un obscur peintre londonien aux tableaux morbides et dérangeants. Il n’était resté qu’une semaine à Londres avant d’en repartir précipitamment, et il était venu le voir plusieurs fois pendant son séjour, ayant l’air de plus en plus désemparé et aux abois.

Affable, c’est à la seule condition d’être tenu au courant du fin mot de cette affaire que Mickey Mahoney apprend à Sommers, lorsque ce dernier lui demande de plus amples informations, qu’Elias était allé à la Pyramide Bleue, club londonien très prisé par la communauté égyptienne, à l’excellente nourriture et aux splendides danseuses orientales, au British Muséum, ainsi qu’à la Fondation Penhew pour y rencontrer son directeur, Edward Gavigan. Il lui donne aussi l’adresse de Miles Shipley, le « peintre de l’horreur », qui habitait au 6 Holbein Mews, une rue sordide de Soho, ainsi qu’une liste des victimes qu’il archivait mois après mois.

Bertha Shipley
Bertha Shipley

Après avoir quitté le Scoop et être passé au Savoy Plaza laisser un message pour Arthus et O’Donnell leur indiquant où il allait, Sommers se rend dans le quartier de New Oxford Street chez le peintre maudit ayant attiré la curiosité de son ami. Holbein Mews se révèle être un long alignement sinistre de modestes taudis ouvriers en briques, d’une égale laideur, séparées par de petites ruelles sombres donnant sur des jardins laissés à l’abandon.

Accueilli par Bertha, la mère du peintre, une petite vieille à l’horrible voix de crécelle et à la prévenance douteuse, Sommers se fait passer pour un riche collectionneur venu acheter les toiles de son fils. L’intérieur était glauque et la décoration vieillotte, ça sentait le vieux et la crasse, et une vague odeur fétide, qu’il n’arrive pas à identifier, flottait dans l’air … Pendant que la vieille femme lui prépare un thé au citron dans la cuisine, Sommers patiente dans le petit salon étriqué servant aussi de salle-à-manger, restant sur ses gardes. Elle revient bientôt, lui tendant une tasse ébréchée et encrassée, remplie d’un liquide n’ayant de thé que le nom, et elle commence à tricoter en tremblotant. Mal à l’aise, Sommers se garde bien de tremper ses lèvres dans le breuvage, quand au bout d’une dizaine de minutes, des pas se font entendre dans l’escalier menant à l’étage.

Miles Shipley
Miles Shipley

Les cheveux en bataille, le regard fuyant et allumé, Miles Shipley était sapé n’importe comment et agité de tics nerveux. Il avait l’air complètement fou à lier mais, lorsque Steeve se montre intéressé par ses toiles, il s’anime aussitôt et lui propose de le suivre dans la mansarde lui servant de chambre et d’atelier, sous le regard pesant de sa mère. Un autre collectionneur, un dénommé Aleister Crowley, lui avait récemment acheté un tableau à prix d’or et, tout excité à l’idée de montrer à ce nouveau visiteur ses chefs d’œuvre, il commence à déballer fébrilement une quinzaine de tableaux empilés contre les mur et recouverts de draps poussiéreux.

L’unique lucarne était peinte en noir, et la pièce obscure éclairée d’une lumière blafarde et malsaine. Sommers se serait cru dans la Chapelle Sixtine de l’Horreur et de l’Indicible. Lui apprenant que ses visions lui venaient la nuit, l’empêchant de trouver le sommeil, Miles Shipley lui dévoile alors ses atroces peintures.

Les œuvres de Miles Shipley se situaient entre celles d’Otto Dix, d’Egon Schiele et de Jérôme Bosch, et faisaient curieusement écho aux abominables illustrations et descriptions des livres qu’ils avaient lus, de « Azathoth et autres horreurs » jusqu’à « Africa’s Dark Sects ».

Otto Dix (né à Untermhaus, près de Gera, le 2 décembre 1891) est un peintre allemand associé aux mouvements de l’expressionnisme et à la Nouvelle Objectivité. Issu d’un milieu ouvrier (son père Franz Dix travaillait dans une mine de fer), il avait reçu une éducation artistique par sa mère, Pauline Louise Dix, qui s’intéressait à la musique et à la peinture. Après avoir suivi le professeur de dessin Ernst Schunke pendant sa jeunesse, Dix avait pris des cours à Gera de 1905 à 1909 auprès de Carl Senff. Une bourse d’étude fournie par le prince de Reuss permit à Dix d'entrer à l’École des arts appliqués de Dresde, où il avait étudié entre 1909 et 1914. Johann Nikolaus Türk et Richard Guhr figurèrent parmi ses professeurs. Quand la guerre éclata, il s’était engagé comme volontaire dans l’artillerie de campagne allemande. L’année suivante, il avait reçu une formation de mitrailleur et participé à de nombreuses campagnes en Champagne, dans la Somme ou en Russie, d’où il était sorti vivant. Ayant apparemment en tête des images d’horreur, il essaya de les oublier en peignant, comme en témoigne Les Joueurs de skat en 1920. De 1919 à 1922, Dix avait étudié également à Düsseldorf, avant d’adhérer au mouvement réaliste et satirique Neue Sachlichkeit (Nouvelle objectivité) puis, plus tard, au cubisme, au futurisme et au dadaïsme.

Egon Schiele était un peintre et un dessinateur autrichien, né le 12 juin 1890 à Tulln an der Donau, près de Vienne, et mort le 31 octobre 1918 à Vienne. Son dessin se montrait très net, avec un trait marqué, énergique et sûr, parfois même violent. La connaissance du corps humain qu’il avait était d’autant plus remarquable qu’il ne faisait pas disparaître le squelette sous la chair, il le dessinait dans la logique de ses mouvements et postures et lui donnait ainsi trois dimensions, au lieu que ce soit deux, comme c’était souvent le cas chez d’autres artistes. Ses portraits et ses nus étaient en outre saisis dans des poses insolites, voire caricaturales, Egon Schiele ayant étudié les attitudes de certains déments dans un asile psychiatrique, ainsi que les positions des marionnettes manipulées, ce qui donnait cet aspect « désarticulé » propre à certains de ses personnages et à son art. Le trait marqué, les poses complexes générant une multiplication de lignes obliques, la chair comme tuméfiée des corps, les fonds parfois tourmentés, la provocation de certains nus étaient caractéristiques de son œuvre, qui occupait également une place essentielle dans l’histoire des relations entre art et érotisme. Certains de ses nus prenaient des poses explicites et l’artiste avait aussi largement traité le thème de la masturbation féminine et masculine. Schiele affirmait aussi le rôle spirituel de l’art, disant en 1911 que ses œuvres devraient être exposées dans des « édifices semblables à des temples » et ayant pour projet en 1917-1918 la construction d’un mausolée.

Hieronymus van Aken, dit Jérôme Bosch ou Hieronymus Bosch, était un peintre néerlandais, membre de l'Illustre confrérie de Notre-Dame. Il était né vers 1450 à Bois-le-Duc, d’une famille modeste originaire d’Aix-la-Chapelle, venue s’installer aux Pays-Bas deux ans plus tôt. Son grand-père Jan van Aken et son père Anthonis van Aken avaient eux aussi exercé le métier de peintre. Épousant en 1478 une fille de riche aristocrate, il avait été accueilli comme « membre notable » par la confrérie Notre-Dame, association religieuse consacrée au culte de la Vierge, dont il devint naturellement le peintre attitré. Sa vie à Bois-le-Duc se déroula alors paisiblement entre sa femme, son atelier et la confrérie, ce qui n’empêcha pas sa renommée de s’étendre bien au-delà des frontières de son pays natal. C’est dans ses lectures et dans l’atmosphère d’hérésie et de mysticisme régnant alors, que Bosch avait puisé une inspiration nouvelle, qui lui avait fait délaisser l’iconographie traditionnelle de ses débuts, pour s’orienter vers des œuvres « sacrilèges » où le religieux se confrontait au péché et à la damnation. L’enfer se mêlait au paradis, et le satirique à la morale. On y voyait sa préoccupation pour l’humanité corrompue condamnée à l'enfer éternel pour avoir tourné le dos à la loi divine. L’obsession du péché s’illustrait dans Les Sept Péchés capitaux (1475-80), la Nef des fous (1490-1500), ou le triptyque Le Jardin des délices (1503-1504), allégorie fantastique complexe, composition de personnages et d’animaux hybrides, comportant de nombreuses références à l’alchimie. Son voyage à Venise, au début du XVIe siècle, donna une nouvelle dimension à sa créativité ; on remarque alors plus d’espace et de paysages dans ses œuvres, montant la vie des saints comme unique voie de salut.


Bien que les tableaux se révèlent être tous plus abjects les uns que les autres et malgré son dégoût croissant, Sommers fait mine d’être intéressé à la plus grande joie de Miles Shipley. Le premier montrait d’ignobles créatures quadrupèdes courant derrière des hommes pour les démembrer et se repaître de leurs viscères. Les autres représentaient des scènes morbides de cannibalisme dans d’obscurs cimetières abandonnés, des pluies de météorites lumineux s’abattant sur un corps humain d’où jaillissaient du sang et du pus venant abreuver la terre, des créatures hybrides et dégénérées participant à des festins blasphématoires, etc … Mais une toile en particulier, bien trop réaliste à son goût, retient l’attention de Sommers qui ne peut réprimer un frisson :

 

au milieu de la savane africaine, une sinistre montagne noire et rocheuse se dressait vers les cieux nuageux; tandis qu’une immense créature monstrueuse se tenait dessus à califourchon, recroquevillées. Sa tête n’était qu’une longue langue rouge et brûlante, et de minuscules êtres humains, tels d’innombrables fourmis, l’entouraient comme s’ils participaient à quelque cérémonie impie alors que des créatures volantes innommables volaient autour de l’énorme chose. Sans hésiter, Sommers paie £ 300.00 pour le tableau et le peintre l’emballe sans tarder sous papier kraft !

Sommers fait l'acquisition d'une peinture de Shipley qui le trouble
Sommers fait l'acquisition d'une peinture de Shipley qui le trouble

Entre-temps, Marvin et Arthus, dépités de n’avoir pu voir Tewfik al-Sayed, trouve à leur hôtel le mot de Sommers et décident de le rejoindre. Alors que, se faisant passer pour des collègues à lui, ils sont accueillis à leur tour par la vieille Bertha Shipley, ils entendent des pas dans l’escalier et voient leur compagnon, un colis sous le bras, redescendre de l’étage en compagnie d’un type n’ayant clairement pas toute sa tête. Ne voulant pas qu’ils grillent sa couverture, Sommers les entraîne dehors sans tarder, prenant congé du peintre dément et de son inquiétante mère, et il leur donne rendez-vous dans sa suite du Thistle High Park, préférant qu’on ne les voit pas ensemble … Réunis, il leur montre alors de façon théâtrale sa récente acquisition.

 

Troublés par le réalisme du tableau, les trois comparses s’accordent un whiskey tout en faisant le point. Une fois exposé ce qu’ils ont respectivement appris dans la journée, ils conviennent de se retrouver le lendemain après le petit déjeuner, près du Savoy Plaza, et O’Donnell et Arthus regagnent leur hôtel se coucher. Resté seul dans sa suite, plongé dans ses pensées, Sommers boit encore un verre ou deux. Quand soudain, il parvient à identifier l’odeur flottant chez les Shipley. Un vague relent de zoo, de vivarium et de reptile

Dimanche 22 février 1925:

 

Après une nuit sans histoire, Arthus et Marvin s’équipent de leurs Colts 45, de leurs canne-épée et coup de poing américain, et après avoir donné l’adresse de Tewkik al-Sayed à Sommers qui les attend nonchalamment dans la rue, ils retournent voir l’épicier dès l’ouverture de sa boutique. Le privé avait un plan, simple et tout en finesse. De son côté, armé lui aussi d’un Colt et d’une grenade, Sommers déambule derrière eux, s’achetant sur le trajet un chaud manteau, un chapeau melon et une canne anglaise. Et tandis que les autres rentrent dans l’épicerie, il reste à l’extérieur dans la brumaille pour surveiller les alentours, feignant de s’intéresser aux étals et vitrines des différents magasins.

 

L’intérieur de la boutique de Tewfik était une grande pièce désordonnée, où régnait un véritable capharnaüm : des fauteuils, des épices exotiques, des objets décoratifs, des poteries, etc … entreposés dans tous les sens. Un escalier montait à l’étage et une porte au fond était dissimilée derrière un tapis. Un large sourire aux lèvres, le propriétaire, assis au milieu sur un coussin près d’une table, les invite à entrer et, venant de s’en préparer, leur propose du thé.

Tewfik Al Sayed
Tewfik Al Sayed

Pendant qu’Arthus reste près de la porte l’air de rien, jouant nerveusement avec sa canne- épée, O’Donnell pose son feutre sur la table, écarte son pardessus, la crosse bien visible, et s’assoit sur un coussin à côté de l’épicier. « Je vais pas y aller par quatre chemins, mon gars. On enquête à titre privé sur les meurtres perpétrés ici dans la communauté égyptienne. Et on a cru comprendre que vous aviez aidé Scotland Yard et travaillé pour la Fondation, heu … Penhew ! » déclare-t-il d’une traite, en fixant son interlocuteur droit dans les yeux sans lui laisser le temps d’en placer une. « La police vous a parlé du Pharaon Noir et vous leur avez dit que c’était des conneries … » L’épicier essaie de l’interrompre gentiment : « Mais c’est vrai, tout cela c’est des bêtises, Sidi ! » Mais Marvin le coupe aussitôt, le foudroyant du regard. « Je vous arrête tout de suite, les conneries pour les touristes, vous me les sortez pas à moi. Moi, je pense qu’en toute gentillesse », poursuit-il légèrement menaçant, « vous vous foutez de notre tronche … » Pendant ce temps, Arthus s’approche discrètement des fenêtres pour les occulter en tirant les tentures, rideaux et panneaux de bois. Voyant cela, Tewfik al-Sayed ouvre des yeux ronds et les invective dans sa langue natale, en le fixant : « Que Dieu maudisse ta mère, sa descendance et que le Vent Sombre te pénètre à l’instant ! » comprend Arthus qui parle l’arabe … avant de s’écrouler sur le sol !

Le Frenchy sent un grand vide en lui, une douleur effroyable lui vrille le cerveau, un voile noir se lève devant ses yeux, et il tombe inconscient sur le sol, en cassant le carreau d’une fenêtre dans un dernier geste.

 

Entendant un bruit sourd derrière lui, O’Donnell se lève d’un bond et dégaine son Colt 45 en voyant du coin de l’œil son ami s’effondrer. D’un revers, il tente de frapper de son arme ce sournois d’Egyptien en pleine tête mais, agile comme le cobra face à la mangouste, Tewfik esquive aisément en hurlant en arabe, essayant de sortir quelque chose de sous sa robe. Dehors, ses cris étouffés n’alarment heureusement pas les quelques passants ayant bravé le smog matinal drapant la ville d’un linceul fantomatique ; seul Sommers, adossé à la devanture, perçoit les mots arabes « Au secours ! » alors qu’il voit le carreau d’une fenêtre se briser. La main sur son arme, il fonce dans l’épicerie. A l’intérieur, Tewfik al-Sayed extirpe un gourdin hérissé de pointes de sa tunique et cherche à frapper Marvin qui, esquivant l’attaque, riposte. Son adversaire évite le premier coup, mais ne peut rien contre le second ; il se prend la crosse du Colt en pleine poire et, sous la violence du coup, il se retrouve étendu raide sur le sol.

Déboulant dans la boutique, Sommers aperçoit le privé dressé au dessus d’un type inconscient, et il voit Arthus étendu par terre, tout pâle et tremblotant, la bave aux lèvres. Le Texan glisse discrètement la pancarte FERME sur la porte d’entrée côté rue, il bloque l’intérieur avec des meubles et ferme les ouvertures. Puis, après avoir fait revenir leur ami à lui grâce à quelques odorantes aromates, Marvin et Sommes l’assoient sur le corps inconscient d l’Egyptien, après avoir déshabillé, bâillonné et saucissonné celui-ci, et tous deux partent explorer les lieux. Reprenant ses esprits, Arthus préfère rester à faire le guet, tranquillement assis sur Tewfik. Marvin visite l’arrière-boutique, qui se révèle n’être rien de plus qu’une simple réserve, tandis que Steeve monte à l’étage et y découvre un séjour tout à l’égyptienne : un divan, des coussins de soie, un narguilé, des lampes orientales, un brûleur d’encens, un coffre en bois finement ciselé, et même une vitrine avec des statuettes de divinités égyptiennes. Au centre trônait un large bureau en bois, avec un Coran posé sur un présentoir.

Sommers repère immédiatement, posé sur un petit meuble, un gros miroir antique très richement ouvragé de 60 cm de haut, dont le pied était décoré d’un personnage sculpté, une femme égyptienne avec une coiffe compliquée. Rejoint par O’Donnell, ils fouillent la pièce sans rien trouver, quand finalement, un tiroir fermé du bureau attire l’attention du Texan. Il fracture le tiroir et y trouve des factures et des livres de compte, mais aussi un compartiment secret tout au fond. Dedans, il découvre une tunique de soie pliée avec une chaîne en métal argenté portant une ankh renversée, deux fioles en grès, un rouleau de papyrus ayant l’air très fragile, un fez en soie noir décoré lui aussi d’ankhs renversées, ainsi que deux sceptres égyptiens en métal noir, l’un se terminant par une ankh renversée, l’autre par un point d’interrogation.

De son côté, Marvin ne trouve rien d’intéressant dans les autres pièces : une salle d’eau, une cuisine, une chambre. Tandis que Sommers entasse les objets dans le coffre, il redescend avec la ferme intention d’interroger l’Egyptien. « Merde, j’y ai été un peu fort … » lâche-t-il dépité. Gravement blessé par son coup de crosse en plein visage, Tewfik al-Sayed avait succombé à ses blessures internes pendant qu’Arthus somnolait sur lui ! « Le prochain sur la liste, c’est Gavigan » commente O’Donnell. « Soit il est très con pour un expert sur l’Egypte, peu probable, soit il est dans le coup. Lui aussi a dit aux flics que le Culte du Pharaon Noir avait disparu, et c’est lui qui leur a recommandé ce fourbe d’épicier. » Pris d’un excès de zèle et histoire de brouiller les pistes, le privé tabasse alors le cadavre avec le gourdin clouté, comme s’il avait été tué selon le rituel décrit dans « La Vie d’un Dieu ». Sommers récupère le gourdin, qui finit dans le coffre avec le reste, et ils quittent discrètement la boutique après s’être donné rendez-vous devant le British Museum à 19h00. Tel un client ordinaire, Sommers sort le premier, le coffre sous le bras et l’air de rien. Ayant revêtu la djellaba et l’écharpe de Tewfik, Arthus le suit peu après, et Marvin ferme la porte derrière eux, arborant le chapeau melon de Steeve. Ils partent dans des directions opposées, s’assurant de ne pas être suivis. Marvin décide de rester dans le coin et se met en planque, cigarette au bec, pour surveiller l’épicerie.

Craignant que l’inspecteur Barrington, qui leur avait donné la piste de Tewfik en leur conseillant de ne pas jouer aux cow-boys, ne veuille les entendre lorsque le corps sera découvert, Arthus fait transférer leurs malles, avec les armes cachées dans le double-fond, à l’hôtel de Sommers qui les fait monter dans sa suite. Puis le Frenchy règle leurs chambres au Savoy Plaza, arguant que son ami et lui devaient écourter leur séjour. Il trouvait plus prudent de changer d’hôtel, et il opte pour le Russel Hotel dans Bloomsbury, belle représentation de l’architecture victorienne. Il aperçoit même un peu plus loin dans Tuttenhan Street une grande bâtisse blanche entourée par de hautes grilles : la Fondation Penhew. Par la fenêtre de sa chambre, il pouvait voir le bâtiment qu’il commence à surveiller : des étudiants, principalement, allaient et venaient, et il ne voit rien de suspect.

 

Au Thistle High Park, enfermé dans sa suite, Sommers examine scrupuleusement les objets trouvés chez Tewfik. La première fiole trouvée dans son bureau contient un liquide poisseux, une substance sirupeuse rouge à l’odeur âcre, la seconde l’équivalent de: 8 poignées de poudre noire mouchetée de cristaux. Il effleure la surface du miroir avec une pincée de poudre, mais rien ne se passe et il résiste à la tentation d’en utiliser une pleine poignée. Puis il entreprend de coucher par écrit ce qu’ils ont découvert depuis le meurtre d’Elias à New-York.

 

Quant à Marvin, ce dernier passe l’après-midi dans Soho, maintenant une surveillance discrète de l’épicerie, mais personne ne semble s’étonner que celle-ci soit fermée et il ne repère aucune activité clandestine. Alors que le brouillard commence à se lever sur la nuit londonienne, tous les trois se réunissent discrètement à 19h00 près du British Muséum, et ils se mettent d’accord pour continuer d’enquêter. Sommers tente à tout hasard de joindre le Scoop pour interroger Mahoney sur Edward Gavigan, mais même les bureaux d’un tel périodique racoleur étaient fermés le dimanche soir. De son côté, Arthus part jeter un coup d’œil à la Fondation Penhew. Il fait le tour du bâtiment et remarque une entrée de service à l’arrière, mais des grilles en fer forgé protégeaient la fondation, bloquant aussi l’accès à la rampe de service. A l’étage, il aperçoit aussi une ou deux lumières en mouvement, probablement un gardien ou un gars du nettoyage.

O’Donnell, lui, retourne surveiller la boutique de Tewfik. En début de soirée, un groupe d’arabes se pointe à la boutique mais, n’obtenant aucune réponse quand ils frappent à la porte, ils finissent par repartir en camion, deux hommes devant, quatre à l’arrière. O’Donnell note la plaque d’immatriculation, avant d’héler un taxi et de se lancer à leur poursuite, alpaguant Arthus au passage. Le camion s’arrête devant le club égyptien de la Pyramide Bleue et les types en descendent pour s’entretenir avec un individu tout maigrichon, portant un chapeau melon et de petites lunettes cerclées de fer, qui semblait les attendre devant l’établissement.. Celui-ci leur fait des signes agités avant de rentrer à l’intérieur, tandis que les autres repartent en camion.

Resté à bord du taxi garé un peu plus loin, Marvin et Arthus voient le véhicule tourner au premier carrefour et s’arrêter derrière l’établissement. O’Donnell se fait déposer un peu plus loin tandis que son coéquipier retourne au British Muséum prévenir Sommers.

 

A nouveau réunis, ils rentrent à tour de rôle dans la Pyramide Bleue. Mickey Mahoney n’avait pas menti. Une bonne odeur de nourriture exotique leur titille les papilles, l’endroit était bondé et de belles danseuses égyptiennes se trémoussaient sur de la musique orientale. Le binoclard se tenait au fond près d’une porte donnant sur une petite arrière-salle, en train de discuter avec l’un des types du camion. Ils avaient l’air d’attendre quelque chose. Tewfik ? Arthus passe près d eux en faisant mine d’aller aux toilettes. « Il est sûrement déjà là-bas. Que fait-on, on part dans une heure ? » … Repassant dans l’autre sens, il les entend murmurer : « Gavigan doit sûrement y être déjà … » Retrouvant Sommers et O’Donnell à l’entrée, occupés à mater les danseuses, le Frenchy les met au courant.

Quittant les lieux, ils déambulent dans les rues voisines pour surveiller l'endroit, et vers 22h00, ils voient les deux individus sortir par la porte de derrière et monter dans le camion. Rejoint par Arthus, Marvin appelle un taxi et lance : « Chauffeur, suivez ce véhicule sans vous faire repérer ! » Sommers, lui, refuse de monter dans leur taxi et en prend un second, qui rejoint la procession.

 

La Fringe Division quitte ainsi la froide nuit hivernale londonienne et s’enfonce dans la campagne anglaise, suivant le cours de la Tamise en direction de l’inconnu.