A snake nest

Lundi 23 février 1925:

 

Arrivés à Londres vers 05h00 du matin, bien avant l’aube, ils se rendent au Russel Hotel où le Frenchy, aidé d’O’Donnell, en profite pour décharger et remonter dans sa chambre le fusil, ainsi que les objets et les livres récupérés chez les sectateurs. Pendant ce temps, Steeve fait le guet dans la rue. Ils abandonnent ensuite la voiture quelques rues plus loin et, après être retournés à pieds à la Fondation Penhew, ils gagnent discrètement l’entrée de service, utilisant le trousseau de clefs pour ouvrir les grilles en fer forgé puis la porte d’accès. Allumant la lampe à huile d’Arthus, le trio décide d’explorer subrepticement les lieux. Ignorant les vitrines et les objets exposés, Sommers et Arthus visitent la cave, sans rien trouver de notable hormis un monte-charge.

Marvin, lui, porte son attention sur une pièce avec seulement un sarcophage en plein milieu. Dans la pénombre, le privé repère des traces de frottements sur le sol, ainsi que des placards amovibles le long d’un des murs, révélant un passage secret sur le bureau de Gavigan.

Sans hésiter, l’Irlandais se met à pousser de toutes ses forces sur le sarcophage, bientôt rejoint par ses compagnons. Mais rien à faire. « Il suffit d’appuyer là deux fois ! » lance Arthus au hasard en appuyant sur un œil.

Miracle ! Incroyable …. Un escalier en colimaçon se révèle à eux. S’enfonçant dans l’obscurité, il menait à une longue salle étroite, sans fenêtre, comme une espèce de bunker. Il y avait deux caisses et des étagères contre les murs, et des vases, des livres, de la nourriture, de l’eau, ainsi que des tas d’œuvres d’art antiques égyptiennes sur le sol. En jetant un œil sur un bas-relief, Sommers reconnaît avec surprise les horribles créatures volantes de la clairière.

Dans la caisse destinée à Ho Fong Import à Shanghai, ils trouvent la statue d’une créature humanoïde femelle bouffie, vert de gris, avec des pustules et des replis de chair boursouflée tombant de ses seins jusqu’aux genoux.

D’après ses souvenirs, Steeve estime qu’il s’agit d’une entité maléfique chinoise, appelée "La Femme Boursouflée" ou Nyarlathotep.

 

La seconde caisse, adressée à la Compagnie Maritime Randolph en Australie, contenait une autre statue de taille humaine, en pierre bleuâtre, représentant un être avec de grandes ailes de chauves-souris dans le dos, des mains palmées, des pattes griffues et une tête ressemblant à celle d’un poulpe. Une sorte de méduse ou de kraken mythologique.

Ils découvrent aussi :

De nombreuses statuettes de créatures toutes plus hideuses les unes que les autres, une grosse urne en grès contenant une poudre grisâtre,

Un coffret en bois de santal, sculpté et incrusté de créatures en argent, un mélange d’insectes et de singes avec des pattes de devant armées de serres acérées, qui contenait deux dagues en métal argenté,

Des chauves-souris, des pattes de canard et des grenouilles séchées,

Sur les étagères, des livres et des parchemins en allemand, en russe, en français, en espagnol, en latin, … Parmi les nombreuses réflexions théologiques insupportables sur les sacrifices rituels, trois ouvrages ayant l’air beaucoup plus intéressants : « Le Livre de Dzyan » (en anglais), le « Liber Ibonis » (en latin) et les « Fragments de G’harne » (en anglais).

 

Il y avait aussi une quinzaine de parchemins, parfaitement rangés : 3 en arabe, 1 en vieil anglais, 4 en latin, 2 en vieux français et 5 en anglais actuels. La plupart ressemblaient à de la poésie, mais d’autres à d’étranges rituels comme celui trouvé par Alastar dans « Africa’s Dark Sects ».

Pendant que Sommers récupère le tout, regrettant de ne pas pouvoir emmener aussi les deux statues de 80 kgs chacune, les deux autres retirent les étiquettes des deux caisses mentionnant leurs destinataires, puis ils fouillent le bureau de Gavigan. Dans un coffre-fort mural, qu’ils ouvrent une fois encore grâce au trousseau de clefs, ils trouvent GB£ 500.00. Après avoir subtilisé l’argent, et des tampons et du papier à en-tête de la Fondation Penhew, Arthus et O’Donnell rejoignent Sommers avant de quitter l’endroit. En partant, Marvin lui donne le paquet de clefs.

Décidés à quitter Londres au plus vite, avant que Scotland Yard et l’inspecteur James Barrington ne tombent sur Marvin et Arthus pour interroger ces cow-boys sur la mort suspecte de Tewfik et la disparition de Gavigan, tous trois regagnent leurs hôtels respectifs et préparent leurs bagages.

Après un rapide check-out, Arthus et Marvin partagent un taxi jusqu’à Southampton, tandis que Sommers paie des porteurs pour acheminer ses malles jusqu’à un train pour les y retrouver … Un bateau pour l’Egypte, la prochaine destination qu’ils avaient choisie, partait dans 2 jours, un autre dans 10. Ils achètent aussitôt trois billets pour le prochain départ pour le Caire, le surlendemain, et passent la journée à récupérer, installés chacun dans trois hôtels différents de Southampton.

 

Mais avant de quitter l’Angleterre, Sommers avait une dernière chose à régler. Cet effluve nauséabond qui flottait chez les Shipley lui trottait dans la tête, et il ne voulait pas que les tableaux de ce malade traînent dans la nature. Il convainc donc ses coéquipiers de retourner à Londres, afin de s’infiltrer de nuit chez le peintre et d’y perquisitionner. Pas question cependant de réitérer la même erreur que la nuit dernière.

Si O’Donnell n’avait pas trouvé par hasard la barque et ce tromblon providentiel, Dieu seul sait la tournure qu’aurait prise leur petite virée nocturne dans l’Essex ! Cette fois-ci, Steeve embarque, en plus de ses autres armes, l’étui à violon contenant sa Thomson.

Profitant de l’obscurité et du brouillard, tous les trois se rendent séparément par taxi à Soho, et après que Marvin ait passé 20 mn à crocheter la serrure de la porte de derrière et qu’Arthus et lui se soient mis en planque dans les ruelles attenantes, Sommers se glisse dans la maison des Shipley …

L’épais brouillard recouvrant la capitale anglaise masquait la faible clarté lunaire, et la maison était plongée dans le noir. Un silence glacial régnait chez les Shipley. Allumant son briquet à essence pour s éclairer, Sommers jette un œil dans la cuisine puis ouvre la porte opposée donnant sur une petite réserve. De la nourriture et des ustensiles du quotidien y étaient conservés, et un escalier menait apparemment vers une cave.

Trouvant un paquet de bougies, il en allume une et descend les marches avec prudence.

Dans la cave s’entassaient des chaises cassées, de vieux meubles abîmés et un empilage de caisses à moitié défoncées. Un étroit chemin restait dégagé au milieu de tout ce fourbi poussiéreux, conduisant au fond de la salle. En tâtonnant dans l’obscurité, Steeve trouve un mécanisme permettant de faire coulisser la paroi amovible. Des étagères couraient contre l’un des murs. Elles étaient encombrées de bocaux, 14 au total, dans lesquels il pouvoir voir diverses substances, poudres et plantes. Il y a avait aussi des livres au nombre de 8. Sur les autres murs de la pièce étaient gravés de nombreux symboles mystiques étranges, et les ouvrages étaient eux aussi rédigés dans le même langage vraisemblablement non humain. En s’approchant, le Texan voit aussi une seringue sale et usagée, avec des traces de sang séché sur l’aiguille, et 6 petites fioles à côté remplies d’un liquide violet dégageant une odeur acide. Un fort remugle reptilien imprégnait l’endroit. Dans un coin, il remarque aussi un gros bac en pierre recouvert d’un couvercle.

 

Après avoir calé dans son sac les livres, la seringue, les fioles et trois bocaux pris au hasard, il pousse de toutes ses forces sur le couvercle de l’auge. Retenant un haut-le-cœur, il y trouve des restes humains, avec de la chair parfois encore attachée sur ces morceaux de cadavre : des crânes, des mains, des pieds, des bouts de fémur, … La puanteur qui s’en dégageait était horrible, et Sommers quitte les lieux sans s’attarder davantage.

 

Calant le contenu de son sac avec des torchons pris dans la réserve, il décide de l’y laisser et, traversant le salon à pas de loup, il monte discrètement l’escalier, essayant de ne pas trop faire grincer les marches en bois. Il ne s’attarde pas devant les trois portes fermées du 1er étage et se dirige droit sur le petit escalier raide et étroit menant à l’atelier du peintre sous les combles. Une faible lueur en émanait, malgré l’heure tardive. Silencieusement, Steeve éteint sa bougie à mi-chemin et s’approche lentement. Il entend les bruits nerveux d’un pinceau qu’on agite sur une toile, qui s’arrêtent subitement, puis le cliquetis d’une poignée et une porte qui grince. Glissant la tête par l’ouverture de la trappe laissée ouverte, il aperçoit Miles Shipley très agité, de dos, en train de recouvrir d’un drap le tableau qu’il vient de déposer dans un placard, derrière une cloison qu’il n’avait pas vue lors de sa première visite. Alors que l’homme installe une nouvelle toile sur son chevalet et commence à peindre de nouvelles abominations, Sommers s’approche subrepticement par derrière et lui assène un bon coup de crosse sur le crâne.

Au même moment, il entend un bruissement derrière lui. Se jetant par terre sur le côté, il se retourne arme en main et voit, dans l’embrasure de la trappe, deux immenses yeux verts et malfaisants braqués sur lui.

 

Il sent alors quelque chose tenter de pénétrer son esprit et d’en prendre le contrôle. Par miracle, cela échoue et, sans hésiter, Steeve fait feu. La créature risquant d'éviter les balles s'il lâche une rafale, il tire une seule balle, juste entre les deux yeux. Immédiatement, ces derniers s’éteignent et une sinistre forme retombe dans les escaliers dans un gros bruit sourd.

 

Apparemment, Marvin et Arthus n’avaient pas entendu le coup de feu, atténué par le smog londonien nocturne. Passant à côté du peintre KO, Steeve jette un œil dans l’escalier. En bas des marches gisait une créature reptilienne filiforme, aux muscles secs, avec une longue queue à la place des jambes, une tête de cobra à demi explosée par la balle et une paire de bras terminés par de longues griffes acérées. A l’aide de son Bowie, Sommers descend lui couper la tête puis remonte dans la mansarde.

Après avoir ligoté le peintre inconscient sur son lit, il découpe hâtivement avec son couteau toutes ses oeuvres hideuses de leurs châssis avant de les enrouler, y compris celle du placard à laquelle il ne jette même pas un œil. Il emballe la répugnante tête dans le drap, s’en servant comme d’un baluchon, puis il explore rapidement les pièces du 1er étage :

la chambre du peintre, celle de la créature se faisant passer pour sa mère, et une salle-de-bain. Rien d’intéressant, à l’exception d’un exemplaire du « Livre de la Loi », dédicacé par son auteur Aleister Crowley, dans la chambre du peintre. Cette fois-ci, Steeve se rappelle pourquoi ce nom lui disait vaguement quelque chose : Crowley, célèbre poète et sorcier anglais, maître de l’occultisme. Sans hésiter, il prend le livre et, les toiles enroulées sous le bras et le baluchon sur l’épaule, il redescend au rez-de-chaussée, retrouvant son argent dans une commode du salon. Récupérant son sac dans la réserve, il ressort par la porte de derrière, mettant O’Donnell puis Arthus au courant de son horrible rencontre.

Edward Alexander Crowley (né le 12 octobre 1875 à Royal Leamington Spa dans le Warwickshire), dit Aleister Crowley, était un joueur d’échecs, alpiniste, poète, peintre, astrologue, adepte des drogues, etc … britannique, surtout connu pour ses écrits sur l'occultisme

Fils d'une riche famille protestante fondamentaliste, il avait abjuré la foi chrétienne à l’adolescence, après la mort de son père. À Cambridge, il avait changé son prénom d’Edward en Aleister et commencé à s'intéresser à l’occultisme. Initié au sein de la Golden Dawn, il s’en était détaché rapidement pour poursuivre sa propre voie ésotérique, basée sur une « magie sexuelle » sans tabou. Il avait dilapidé sa fortune aux cours de ses recherches qui l’avaient mené dans plusieurs pays.

Devenu rapidement très controversé, tant pour ses mœurs sexuelles que pour ses idées occultes, mais aussi pour ses idées politiques, il devint indésirable en Grande-Bretagne avec la guerre, étant par ailleurs germanophile.

Tandis que Marvin et Arthus retournent à Southampton par le train, Sommers, après avoir déposé la tête de serpent et une note avec l’adresse de Miles Shipley en plein milieu de Piccadilly Circus, gardant l’un de ses monstrueux crocs en souvenir, prend quant à lui un taxi. Ce-dernier préférant ne pas être vu avec ses deux coéquipiers, ils choisissent avant de se séparer jusqu’à leur embarquement le lendemain d’emmener le matériel suivant au Caire, préférant expédier le reste à Boston.

 

Arthus garde les pages du registre ainsi que 5 parchemins. O’Donnell prend les « Fragments de G’harne », 5 autres parchemins, la paire de sceptres égyptiens trouvée chez Tewfik al-Sayed, une toge noire, un collier et quelques colifichets de sectateur, ainsi que le papier à en-tête et les tampons de la Fondation Penhew. Steeve conserve les 5 derniers parchemins, « Le Livre de Dzyan », le « Livre de la Loi » d’Aleister Crowley, le coffret en bois de santal contenant les 2 dagues en métal argenté, la seringue avec 2 doses de liquide violet, un ouvrage de Champollion ainsi qu’un des livres rédigés en langue inconnue.

 

Mardi 24 février 1925:

 

Au petit matin, alors que le Frenchy et son comparse détective prennent leur petit déjeuner, ils remarquent un article qui leur saute aux yeux dans l’exemplaire du Scoop que feuillette un de leurs voisins.

 

 

Sans dire un mot, tous deux regagnent leurs chambres illico pour ne plus en sortir de la journée. Arthus en profite pour apprendre à O’Donnell quelques rudiments d’arabe, puis ils s’intéressent aux parchemins trouvés à la Fondation Penhew. La plupart n’étaient que des chants, louant la grandeur du Dieu Pharaon Noir, aussi appelé Nyarlathotep, et Marvin décide d’apprendre par cœur l’ode qu’il vient de lire. Arthus choisit un parchemin en arabe, décrivant apparemment comment envoyer des images dans les rêves de quelqu’un d’autre. Il comprend aussi malheureusement que ce sortilège nécessitait le bol de cuivre poli, qu’ils avaient trouvé chez Ju-Ju et laissé dans un coffre à New-York.

 

De son côté, Sommers rédige un compte-rendu de leurs aventures à New-York et à Londres pour Whitesnake, puis une lettre poétique à l’attention d’Erica Carlyle, y joignant la lettre inachevée trouvée dans l’Essex. Il met dans une malle l’ensemble du matériel qu’ils ont décidé de ne pas emporter avec eux et la fait expédier à son adresse à Boston. Le prochain bateau pour les Etats-Unis partait dans 11 jours. Il lit ensuite lui aussi un des parchemins rédigés en arabe. Il s’agissait d’un rituel permettant d’invoquer et de contrôler un "Marcheur des Lieux Multiples", à l’aide de sang humain (pouvant être celui de l’invocateur) et d’un couteau sacrificiel. En revanche, rien n’indiquait comment le congédier.

Mercredi 25 février:

 

Dès l’aube, les trois aventuriers se rendent à l’embarcadère pour monter à bord du Fontainebleau, navire battant pavillon français, passant par Southampton et filant sur Djibouti. Alors qu’ils quittent le port, ils aperçoivent un fourgon de Scotland Yard toutes sirènes dehors s’arrêter sur les quais. Ils avaient échappé de peu à un interrogatoire gênant avec l’inspecteur Barrington !

 

Le trajet jusqu’à Port Saïd leur prendra une semaine …