Le dessert que sert l’abominable femme du désert

Whitesnake les convie un soir tous les trois dans son salon privé. Il vient d’acquérir une vieille maison, à proximité du petit village de Highcliff dans la région de Salem, grosse ville portuaire du Massachusetts célèbre pour ses « chasses aux sorcières » passées. Son précédent propriétaire, un dénommé Bartolomew Jefferson, était décédé quelques mois auparavant, et Whitesnake avait donc acheté la demeure mise en vente par le neveu du défunt, John John Jefferson.

Il souhaite qu’ils se rendent à Highcliff pour inspecter la propriété -qu’il n’avait pas encore visitée par lui-même- et qu’ils vérifient si elle ne pourrait pas accueillir sa future collection muséale.

 

Comprenant que leur employeur n’en sait pas davantage, ou ne veut pas leur en dire plus, sur cette banale mission de routine, Sommers coupe court à la soirée et quitte la réunion rapidement, emportant avec lui la bouteille de whisky entamée. Une certaine tension était apparue entre lui et O’Rearly ; le jeune irlandais se vantait de beaucoup trop de voyages d’exploration en Europe, en Egypte, en Iran, en Amérique du Sud, etc… pour être crédible vu son jeune âge. Et la méfiance était réciproque.

L’Américain regagne sa chambre d’hôtel et, tout en buvant un verre ou deux, prépare ses bagages, entassant quelques vêtements et ses armes de prédilection (fusil « Enfield », mitrailleuse portative Browning M1918 !) dans une malle militaire. Arthus de Kerouac regagne lui aussi sa chambre peu après pour se reposer, tandis qu’O’Rearly passe une partie de la nuit dans un pub gaélique du quartier.

 


 

Le lendemain, après quelques heures de conduite sur une route caillouteuse à bord du véhicule aimablement mis à leur disposition par Whitesnake (une Dort-6, 5 passagers, 1924), ils parviennent à la propriété. Salem n’était éloignée de Boston que d’une heure environ, mais il leur faut deux bonnes heures pour remonter jusqu'à Highcliff par une petite route de terre, puis atteindre la propriété isolée.

L’endroit est inhabité, désert, peu hospitalier. Aucun bruit d’insecte ni de chant d’oiseaux. Aux abords de la maison, juchée sur le haut d’une falaise à pic donnant sur l’océan, la végétation est malingre et desséchée, le sol dur et rocailleux.

 

Sur le perron, ils découvrent un petit paquet déposé sur le sol. Celui-ci a été visiblement posté plusieurs semaines auparavant.

Sommers le déballe avec précaution. Il s’agit d’un flacon de laboratoire, fermé d’un gros bouchon en liège et contenant apparemment du sable noir. Une note manuscrite est enroulée autour du flacon, faisant référence à une mystérieuse Grecque :

 

Mr Jefferson,

 

Voici ce que vous m'aviez demandé. Ne comptez plus sur moi pour recommencer.La Grecque est à mes trousses et cela n'augure rien de bon pour vous.Je crois qu'il serait prudent de remettre l'exécution de votre projet à plus tard et de fuir au plus vite.Versez le solde sur le compte convenu.Ne cherchez plus à me joindre.

Henry.

 

Sommers glisse le flacon de sable noir dans la poche intérieure de sa veste, tandis que Seth O’Rearly garde la lettre.

Les trois aventuriers commencent alors à explorer l’endroit. Dans les chambres et le bureau du 1er étage, ainsi que dans le grenier, Sommers trouve de nombreuses notes, lettres, cahiers de voyage et cours scolaires de l’ancien propriétaire, leur apprenant que celui était professeur d’histoire à l’Université Miskatonic d’Arkham. Aidé de leur comparse irlandais, Arthus s’attarde quant à lui au rez-de-chaussée, fouillant le salon, la cuisine et la réserve attenante encore pleine de conserves. A part 2 fusils de chasse calibre 12 accrochés au mur et une bibliothèque remplie de vieux livres d’histoire et de géographie, la fouille se révèle infructueuse. Il ne semble même pas y avoir de cave à première vue, et l’endroit ne semble guère propice pour le musée de Whitesnake. O’Rearly finit par sortir visiter le jardin, faisant le tour de la demeure par l’arrière.

 

C’est alors que trois "préposés au tri postal" se pointent, à peine plus de deux heures après leur arrivée ! Arthus de Kerouac les reçoit sur le pas de la porte ; ceux-ci venaient s’enquérir d’une éventuelle livraison effectuée par erreur à cette adresse mais, devant l’incompréhension feinte du Frenchy, les trois individus cherchent à se montrer plus persuasifs. Deux d’entre eux dégainent des 45 automatiques, tandis que le troisième tente de frapper Arthus. Des coups de feu se font bientôt entendre, la bagarre éclate, et les trois individus sont rapidement mis hors d’état de nuire, apprenant au trio qu’ils faisaient partie d’une bande de truands dirigée par un dénommé Bob la Crapule.

Le petit groupe de Whitesnake décide alors d’explorer plus minutieusement la maison et ses alentours, et ils découvrent bientôt 3 macchabées enterrés dans le jardin, des curés visiblement, ainsi qu’une petite porte derrière un placard de la cuisine qui donnait sur un étroit escalier menant à une petite pièce souterraine.

Sur des étagères contre le mur, ils trouvent un gros traité d’occultisme en français, « Les Secrets du Crépuscule » par Abel de St Luc, ainsi que de nombreuses notes manuscrites concernant d’autres livres d’occultisme consultés à l’Université d’Arkham. Arthus s’empare du traité, tandis que Steeve, après avoir ramassé les autres documents, trouve une petite cache secrète creusée dans le sol où restent visibles des traces de sang séché. Dedans, il déniche 3 morceaux en cuir avec des inscriptions gravées dessus en cunéiforme, décrivant : Un procédé de jouvence qui nécessitait l’utilisation de terre lunaire et d’un sablier approprié (plaque 1). Comment procéder aux sacrifices rituels de 3 âmes religieuses (plaque 2). Tous les dangers mortels accompagnant le rituel : sècheresse, cauchemars, mort lente (plaque 3).

 

Le petit groupe comprend alors être tombé sur quelque chose … Ils avaient trouvé dans le jardin les cadavres des 3 religieux sacrifiés dans la cave ; le terrain aux alentours était sec et la végétation avait lentement dépéri ; le sable noir qu’ils avaient trouvé en arrivant devait renfermer cette « terre lunaire » et ils devaient donc chercher un sablier.

Le lendemain, ils retournent au village de Highcliff et passent un coup de fil à Bob la Crapule, lui fixant rendez-vous à la demeure de Jefferson …

 

Le reste de la journée restera à jamais gravé dans leurs mémoires. S’ils sont en effet attaqués dans l’après-midi par Bob et le reste de la bande, ils doivent aussi subir l’attaque d’une fière Grecque sans âge, détenant des pouvoirs magiques et invoquant … des monstres !!!


Des crevettes de 2,5 mètres de haut, deux grosses bestioles pataudes, à l'aspect vaguement batracien et à la peau grisâtre. Des filaments roses pendent par dessus leur grande bouche, et elles tiennent une sorte de sagaie dans leurs petites mains. Un farouche combat s’engage, et Arthus ne doit la vie qu’au talent de tireur de l’américain qui abat in extremis la sorcière d’une balle en pleine tête.

 

Sommers ne perd pas le nord ; tandis que ses compagnons récupèrent à l’intérieur du salon dévasté, il récupère de son côté sur le cadavre de leur ennemie un collier avec des symboles grecs liés au Culte d’Apollon chez les Grecs, 3 bagues en or, une paire de boucles d’oreille, ainsi qu’un poignard antique avec des pierres semi-précieuses incrustées dans le manche. Il ramasse également un pistolet 45 automatique avant de s’approprier la voiture des bandits : une splendide Ford T modèle 1924, de couleur noire.

 

Après avoir effacé du mieux possible les traces du combat de la veille et s’être débarrassés des cadavres en les jetant dans l’océan du haut de la falaise, les trois compagnons décident ensuite de quitter ce lieu maudit et, histoire de reprendre leurs esprits, ils retournent jusqu’à la ville de Salem où ils louent des chambres pour la nuit.

 

Le jour suivant, ils retrouvent Whitesnake à la maison de Highcliff pour lui faire un rapport, succinct et rempli d’omissions, sur l’état de la bâtisse, guère propice à la fondation d’un musée privé … Leur employeur reste perplexe, mais ce dernier n'a pas tout perdu. Il récupère en effet les deux sagaies précolombiennes des crustacés géants que le trio avait posées dans un coin.

Le trio retourne ensuite à Salem pour la nuit et, le matin venu, ils rendent visite au neveu John John Jefferson, puis à son notaire, mais sans rien apprendre de nouveau. Le notaire, personne assermentée, n'ayant pas aimé que son expertise soit mise en doute par nos amis, refuse de les aider. Ils retournent donc une fois encore tous les trois passé la maison au peigne fin, mais sans succès. Pas de sablier …

 

De retour à Salem, Sommers décide soudain de suivre son intuition. Au milieu de la nuit, laissant Arthus à l’hôtel pour qu’il potasse le grimoire d’Abel de St Luc, il se rend au cimetière accompagné d’O’Rearly. Jouant aux pilleurs de tombes, les deux compères déterrent le cercueil de Bartolomew Jefferson et fouillent son cadavre putréfié. L’américain met la main sur une chaîne en or attachée autour de son cou décharné, avec la petite clé d’un coffre de banque à Salem en pendentif. La banque "Eastern Union Bank" avec un coffre numéroté 7856 à Salem …

 

Après une nouvelle nuit à l’hôtel, ils vont à l’ "Eastern Union Bank" où ils trouvent dans ce coffre un petit sablier de 50 cm de haut, avec 2 globes surmontés chacun d’un crâne humanoïde et un petit orifice permettant de rentrer/sortir quelque chose …

L’objet rejoint illico la poche de Sommers.

 

Après avoir revu en détails les éléments en leur possession, les trois aventuriers choisissent alors d’aller à Arkham, sur les traces du Prof. Henry Sasko, qui avait mystérieusement disparu.

 

Ils finissent par dénicher son adresse et découvrent son appartement sans dessus dessous. Celui-ci avait visiblement été fouillé de fond en comble, probablement par les sbires de Bob. Espérant que quelque chose leur avait échappé, ils fouillent eux aussi et, dissimulé dans une sacoche, ils finissent par mettre la main sur son journal intime. En le feuilletant rapidement, ils tombent sur plusieurs passages troublants.

 

Les extraits du journal de Sasko :

 

(…) Toute cette histoire est proprement invraisemblable. Depuis que j'ai découvert leur existence, je croyais être prêt à tout, mais de là à imaginer la possibilité d'une vie éternelle... Ce qui me désole le plus, c'est que je n'aurai sans doute jamais l'occasion de la rencontrer alors qu'elle a vu tellement de choses Jefferson est fou. Elle ne le lâchera jamais. (…) Jefferson m'a dit qu'il avait fait des recherches sur la Grecque. Cette femme est un monstre et pourtant je ne peux pas m'empêcher d'être fasciné par son intelligence prodigieuse. J'ose à peine concevoir les stratagèmes qu'elle a imaginés pour traverser les siècles et tuer autant de personnes sans jamais être repérée. Il pense qu'elle a plus de deux mille ans. J'ignore encore d'où il tire toutes ces informations mais je profiterai des prochaines vacances pour lui rendre visite. (…) Jefferson m'a demandé de lui procurer le sable. J'ai eu le malheur de lui dire que je possédais l'extrait d'un codex où était transcrite une cérémonie impie permettant d'invoquer certaines créatures ayant le pouvoir d'accomplir cette tâche incroyable. Il sait que j'ai d'importants problèmes financiers et il sait aussi que je meurs d'envie de voir à quoi peuvent bien ressembler ces êtres venus de l'espace. Quant à moi, je sais que je ne devrais pas, mais c’est plus fort que moi. (…) C'est fait. Je le regretterai toute ma vie. Maintenant je sais qu'elle sait. Où que j'aille elle me retrouvera et je paierai cher ma curiosité. (…)

 

La description des bestioles que Sasko prétendait avoir invoquées pour aller chercher le « sable lunaire » envoyé à feu Bartolomew Jefferson correspond aux crevettes géantes qu’ils avaient combattues !

 

Seth O’Rearly récupère le journal puis, estimant en avoir suffisamment appris, les trois larrons repartent finalement à Boston, veillant bien à ne rien dire à Whitesnake sur leurs diverses découvertes.

 

Steeve Sommers s’occupe, grâce à ses relations du milieu, de leur dégotter une planque secrète dans les bas-fonds populaires, inconnue de leur employeur, pour y laisser leur nouvelle voiture.

 

… … …

 

A leur retour, Whitesnake leur accorde 3 semaines de congés, et chacun vaque à ses occupations. Arthus de Kerouac s’enferme dans sa chambre et commence à décrypter l’ouvrage écrit en vieux français qu’ils avaient découvert dans le sous-sol de la maison de Jefferson : « Les Secrets du Crépuscule » par Abel de St Luc.

 

Sommers passe la première semaine à Boston. Grâce à ses contacts dans la pègre locale et la mafia, il cherche discrètement à faire évaluer par un orfèvre du milieu les bijoux en or et le poignard qu’il avait récupérés sur la Grecque, ainsi qu’à les faire dater. En interrogeant quelques unes de ses connaissances, il comprend que ces babioles ne valent pour eux guère plus que leur valeur au poids ; mais si leur confection est tout de même très grossière, les bijoux sont manifestement d’origine antique. Ils pourraient avoir une certaine valeur auprès d’un collectionneur ...

Il occupe une heure ou deux dans la journée à pratiquer quelques exercices physiques et, le soir venu, il lit méticuleusement les notes manuscrites du professeur Jefferson trouvées dans la cave de Highcliff. Celles-ci font référence à plusieurs livres d’occultisme que l’homme avait consultés à l’Université d’Arkham.

Il est fait plusieurs fois mention d’ouvrages comme le « Necronomicon », un sombre recueil de sorcellerie moyenâgeuse, et l’auteur cite à maintes reprises le « Rameau d’Or », un recueil d’anthropologie, et « les Secrets du Crépuscule » [en français] que détient Arthus. Il est également question du « Culte des Goules » [en français], un livre de nécromancie français.

 

Au bout d’une semaine, Steeve décide de se rendre à l’Université Miskatonic d’Arkham pour voir le catalogue de la bibliothèque. En chemin, il vérifie qu’il n’est pas suivi et, sur place, loue une chambre d’hôtel dans le centre-ville :

 

Hotel Lewiston House

181 East College Street

Telephone 7560

 

Utilisant les faux papiers qu’il s’était faits faire dès son retour dans son pays natal, Sommers s’acquitte des frais d’inscription de la Bibliothèque de l’U.M.A. : US$ 48.00 / an, payables à l’inscription et, sous la fausse identité de Jerry Renner, il passe les deux semaines suivantes à Arkham.

 

La   bibliothèque de l’Université est riche de 400000 références et dirigée par le Pr. Henry Armitage. L’endroit est magnifique, tout en marbre, fleuron de l’université si fière de ses recherches scientifiques appuyées sur une somme colossale de connaissances. La bibliothèque se dote chaque année de nouvelles références venant de partout dans le monde. La collection de périodiques est également importante, dans les sous-sols on trouve une collection quasi-complète de la Gazette d’Arkham, de l’Annonceur d’Arkham et d’autres encore …

 

Sommers a ainsi l'opportunité de consulter ce fameux « Rameau d’Or », un ouvrage en 14 volumes consistant en une étude comparative de la mythologie et de la religion publiée par l'anthropologue écossais Sir J. George Frazer, né en 1854.

L’œuvre était d’abord parue en 2 volumes en 1890, mais la troisième édition, publiée de 1906 à 1915, comprenait 12 volumes.

Le titre s’inspirait d’un épisode du chant VI de « L’Énéide » où Énée et la Sibylle tendent un rameau d’or au gardien des Enfers afin d’être admis dans le royaume des morts.

Les autres ouvrages sont référencés comme inaccessibles au public.

 

J.M.W. Turner « The Golden Bough » 1834

 

Contenant beaucoup de redondances, les 14 volumes comparant les religions et les cultes zarbis se révèlent finalement assez faciles à lire, et en 2 semaines, Sommers avance bien dans sa lecture et apprend même certains détails d’occultisme qu’il ne connaissait pas. Chaque soir, avant de s’endormir, il ne manque pas de s'exercer physiquement.

Au final, son escapade estivale à Arkham lui coûte US$ 40.00 en plus des frais d’inscription.

 

De retour à Boston, Arthus lui fait un résumé simplifié de ses lectures : « Le livre que j'étudie en ce moment semble être un recueil de Rituels Impies pratiqués par des peuplades primitives ! Figurez vous Sommers que je viens de lire le passage sur les Inuit et leur extraordinaire façon de soigner un chasseur ! C'est tout bonnement fascinant ! Quel dommage que vous ne soyez pas assez bon francophone pour saisir chaque subtilité de ce rite ! »

 

Voyant que Sommers ne semble pas apprécier son humour, le Frenchy lui explique qu’il est en train d’étudier un sortilège permettant de recoller les os d’un chasseur blessé. De son côté, Sommers l’informe de ses propres découvertes littéraires sans trop rentrer dans les détails, passant sous silence son inscription à l’UMA, sa fausse identité, l’évaluation des bijoux, etc …

 

N’ayant aucune nouvelle de Seth O’Rearly depuis la fin de leur précédente enquête, Steeve et Arthus comprennent que celui-ci a tout bonnement disparu. De son propre chef ou contre son gré ? Etait-il mort ? Avait-il préféré fuir ? … Il est vrai que l’Irlandais leur avait semblé un peu trop porté sur la bouteille et assez inexpérimenté compte tenu des aventures dont il se vantait.

Ils fouillent sa chambre, sans succès. Aucune trace d’O’Rearly. Et impossible de mettre la main sur le journal du Prof. Henry Sasko qu’il avait récupéré. Il faut dire que les deux enquêteurs ne se montrent ni observateurs ni discrets, surtout Arthus …

 

Quelques jours plus tard, ils reçoivent un courrier de Whitesnake, les informant de la disparition de leur compagnon irlandais et de l’arrivée de son remplaçant : Marvin O’Donnell, un ancien flic.

 

Leur employeur a une nouvelle mission pour eux.